En 1997, a été confiée par l’Inspection Générale, ‘ “l’évaluation de la mise en place des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté” ’ . Son rapporteur en était Bernard GOSSOT. Ce rapport a été connu, sans être publié, à partir du mois de mars 1997. Tout était prêt, disait-on, pour une “mort programmée” des réseaux d’aides. Une assimilation des rééducateurs et des maîtres spécialisés de l’aide à dominante pédagogique, était annoncée, les deux options n’en faisant plus qu’une. La ‘ “suppression ’ ‘ (de l’aide à dominante rééducative) ’ ‘ devrait exiger des maîtres G une pratique centrée sur des objectifs d’apprentissage” ’ . Cette éradicationavait été annoncée en page 41 d’un autre rapport de l’Inspection Générale, en provenance du même auteur et à la même période, concernant cette fois les CLIS (Classes d’Intégration Scolaire). La distinction entre les deux approches n'aurait plus lieu d'être. Les prises en charge individuelles des “ex-rééducateurs” (le terme est de l’auteur), seraient réservées à quelques cas bien particuliers, la majorité des interventions s’effectuant dans les classes. Les inspecteurs de l’enseignement spécialisé, auxquels ce rapport avait été présenté par le ministère, le 3 décembre 1996, y avaient entendu “la mort des rééducateurs et des réseaux” et les rééducateurs accusés de “dérive dans le soin”. De nouveaux textes étaient annoncés, en remplacement de la circulaire de 1990.
On peut constater qu’une fois de plus, la psychopédagogie, à travers les rééducateurs, est mal vécue, mal acceptée. ‘ “L’air du temps n’est plus à la psychologie mais à l’efficacité pédagogique, dans le cadre d’un recentrage non avoué de l’école sur la transmission des savoirs. Tel est bien le message que liront les personnels concernés par ce rapport” ’ , peut-on lire dans le journal “Le Monde” du 16 avril 1997, qui en résume bien l’idée forte.
L'utilisation des concepts psychanalytiques a toujours connu des effets particuliers. On ne peut ici que souligner la force d'attraction-répulsion que la théorie psychanalytique exerce. Une peur semble s'exprimer à travers maintes recommandations et rappels à l'ordre, mises en garde, de la part des instances hiérarchiques en particulier. Georges MAUCO ne disait-il pas, en 1975: ‘ "à plusieurs reprises, l'Education Nationale a pris des mesures contre la pénétration de l'apport psychanalytique, notamment en rejetant vers le médecin tout ce qui n'entrait pas dans le cadre rigide de la pédagogie traditionnelle." ’ (MAUCO, 1975, p. 113). A contrario de ces peurs, le même auteur affirme: ‘ "L'apport psychanalytique, qu'on le veuille ou non, est apport éducatif. Il cherche à résoudre des conflits qui peuvent opposer pulsions et culture. Or l'éducation (...) vise précisément à permettre à l'enfant le développement de son organisme sur tous les plans. Elle doit l'aider à surmonter tout ce qui peut bloquer ce développement. D'autant que l'énergie des pulsions refoulées entraîne des perturbations dans tous les domaines aussi bien physiques qu'intellectuel ou affectif. ’ " (id., p. 159).
L'équipe du Centre Psychopédagogique Claude Bernard, a été confrontée au même type de problèmes entre 1945 et 1956...N’ignore-t-on pas sciemment ce que peut recouvrir le concept de pédagogie? Ne confond-on pas pédagogie et didactique? Oublie-t-on les apports des pédagogues au cours de l’histoire, ceux-là même que notre repérage historique nous a fait évoquer, depuis COMENIUS ou PESTALOZZI jusqu’à Robert GLOTON, Michel LOBROT ou Fernand OURY, et la manière élargie dont ils ont conçu l’approche pédagogique? Le mythe de Sisyphe ne s'applique-t-il pas particulièrement bien à la psychopédagogie? Une confusion renouvelée assimile pratique psychanalytique et appel à la théorie psychanalytique pour éclairer une pratique. ‘ " La psychanalyse...dans un sens plus général (que celui de cure psychanalytique) est un ensemble théorique qui dépasse largement la cure et qui se caractérise essentiellement par une méthode d'investigation de la signification inconsciente des productions humaines. Or, au nom de la différence entre psychanalyse - au sens de cure psychanalytique - et psychothérapie, on n'a jamais interdit aux thérapeutes de se servir des conceptions théoriques et techniques de la psychanalyse. Pourquoi le ferait-on avec les rééducateurs?" ’ (LA MONNERAYE, 1991, p. 32). Yves de LA MONNERAYE rappelle, en parallèle, les efforts de FREUD pour mettre en évidence les mécanismes inconscients, et pour sortir certains "nerveux" des catégories de "malades" en montrant en quoi des comportements dits "pathologiques" sont souvent bien proches, et seulement plus accentués, que le fonctionnement "normal".
Les rééducateurs ont survécu, encore, à cette nouvelle crise. Jusqu’à la suivante, peut-être. Jean GUILLAUMIN 541 , que nous avons cité dans la conclusion de notre première partie, ne soulignait-il pas combien ces espaces “intersticiels”, “conjonctifs”,“de l’entre-deux” sont toujours des espaces voués structurellement à la crise? Ces tensions sont-elles sources de créativité pour la pratique? En ce qui nous concerne, elles ont, du moins, contribué au choix de la problématique de cette thèse...
Des textes sont parus. Ils concernaient la réorganisation de l’examen d’enseignant spécialisé (CAPSAIS). A partir d’un “référentiel de compétences”, sont réaffirmées, et confirmées les orientations de la circulaire d’avril 1990 sur la “mise en place des réseaux d’aides spécialisées”. La différenciation nette entre aide à dominante pédagogique et aide à dominante rééducative, est confirmée, spécifiée, affinée. Dans le point concernant la ‘ “Mise en oeuvre de stratégies d’enseignement ou d’aides adaptées et différenciées” ’ 542 (point 1-2, p. 35), on peut lire que: le rééducateur, entre autres compétences, ‘ “intègre et articule les approches théoriques pluridisciplinaires” ’ concernant ‘ “la dynamique du développement de l’enfant...et ses difficultés” ’ (1-2-1-1, p. 35). Il doit savoir ‘ “analyser le statut des difficultés d’apprentissage et d’adaptation de l’enfant à l’école” ’ (id, 1-2-2-1). Il doit maîtriser ‘ “la méthodologie de l’intervention rééducative” ’ : ‘ “cadre et processus rééducatif” ’ (1-2-5-1). Il doit être capable de construire ‘ “une relation ajustée, en fonction de la personnalité de l’enfant, qui permette de dynamiser le processus rééducatif.” ’ (ibid, 1-2-6-1). Enfin, il doit être ‘ “capable de mettre en rapport les conduites de l’enfant actualisées en rééducation avec les pratiques pédagogiques et les réalisations attendues au sein de la classe.” ’(1-2-8-1)
Un certain nombre de rééducateurs éclairent leur pratique d’autres théories (systémique, relevant de la psychologie cognitive, etc...). Nous avons adopté dans cette recherche une démarche clinique. Nous avons donc choisi d'analyser ce que nous connaissons, ce que nous pratiquons, et seulement cela, laissant le soin à d’autres de prendre la parole, pour d’autres approches de la difficulté de l’enfant, d’autres approches de la pratique rééducative, d'autres compréhensions du processus rééducatif de l'enfant.
Jean GUILLAUMIN, (1979, p. 251).
Rénovation du CAPSAIS. B O . n° 3, 8 mai 1997, Hors série, Annexe: Référentiel de compétences.