Chapitre X.
Une relation qui s'instaure. Transfert et changements de place.
De l'investissement positif au transfert. Vivre une relation symbiotique imaginaire satisfaisante. "Effets" de transfert. Changements de place.

"J'adore travailler avec toi!", déclare José, cinq ans, au moment où je vais le chercher dans sa classe. C'est notre troisième rencontre. Il répète la même phrase en fin de séance. Comment peut-on l'entendre? José semble, en prononçant ces mots, exprimer qu'il est volontaire pour venir avec moi, rassuré du moins par rapport au fait de quitter sa classe, sa maîtresse, l'étayage du groupe des pairs. Il manifeste ainsi un certain investissement affectif positif envers la rééducatrice. "Moi aujourd'hui, je vais faire un dessin pour toi...parce que je t'aime...parce que tu es gentille!", m'annonce José lorsque je vais le chercher lors de la quatrième séance. On peut formuler l'hypothèse que José met en scène ici avec la rééducatrice, comme la plupart des enfants le font avec leur institutrice, le mode de relation établi avec sa mère depuis l'expérience prototype de l'apprentissage de la propreté, quand il lui offrait comme cadeau, ou lui refusait, ses fèces. Don, qu'il a sans doute renouvelé, sous différentes formes, ensuite... Aimer, c'est aussi attendre une réciprocité, c'est vouloir être aimé. Mais l'amour présente également une face de résistance: je souhaite me montrer sous mon meilleur jour lorsque je désire être aimé. L'amour ouvre la porte à l'aliénation du sujet dans le désir de l'Autre . ‘ "Que me veut-il?" "Le désir de l'homme, c'est le désir de l'Autre...toute cette canaillerie repose sur ceci de vouloir être l'Autre, j'entends par là le Grand Autre de quelqu'un, là où se dessinent les figures où son désir sera capté." ’ (LACAN, 1969-1970, p. 58).José demandera, comme le font la plupart des enfants que nous rencontrons en rééducation: "Y'en a d'autres qui viennent avec toi?", et ce qu'ils y font: "Mathieu, il fait comme moi?"

On peut émettre plusieurs hypothèses explicatives à ces questions très courantes chez les enfants dans les premiers temps de la rencontre rééducative. Une des hypothèses est relative au processus lui-même, et concerne le versant transférentiel de la relation. C'est celui-ci que nous nous proposons d'explorer ici, afin de le reconnaître, d'en estimer l'utilité dans le processus rééducatif, et de disposer d'éléments pour savoir qu'en faire.

Partager le lieu ou les objets rééducatifs, c’est surtout partager l'attention de cet adulte.

Denis SAIT que je travaille avec Alex , puisqu’ils sont tous deux au CE1, dans la même classe. Il a de grandes difficultés à accepter ce fait, et se précipite en arrivant en séance "pour voir ce qu'Alex a touché, a cassé" de ses constructions...Alex a-t-il fait la même chose que lui? Est-il resté plus longtemps que lui, la dernière fois? Il lui semble l'avoir remarqué...Ce partage de l’espace-temps rééducatif et de l’attention du rééducateur, peut rappeler à l'enfant d’autres partages de la mère avec la fratrie, partages réels ou fantasmés, accompagnés de la peur d'une perte d'amour. La réalité du partage ravive à l’évidence, pour certains enfants, des blessures trop fraîches, non élaborées, porteuses d'angoisse, qui font que, justement, ils ont besoin d’une rééducation. Cette angoisse est liée à la question de ce qu'ils sont dans le désir de l'Autre, leur mère, aux yeux de laquelle l'enfant voudrait être le seul, l'unique.

Ce type de questions apparaît toujours dans le transfert, parce que l'enfant n'est pas sans savoir qu'il n'est pas le seul à venir en rééducation, mais une certaine rivalité et jalousie sont presque inévitables, à certains moments d'investissement très important, de la relation.

Deux grandes questions interdépendantes, sous-tendent notre réflexion ici, à propos du transfert en rééducation: Est-il légitime et valide d'utiliser le concept analytique de transfert interpsychique dans le champ rééducatif? Auquel cas, est-il utile, voire indispensable de le repérer, et si oui, comment? Qu'entend-on par transfert?"Pour reconnaître un transfert et être en mesure de composer avec cette réalité, il faut beaucoup de vigilance et d'honnêteté. Ce phénomène devrait, à mon avis, faire partie de la formation de tous les enseignants et surtout de tous les thérapeutes." ’ (PORETELANCE, 1994, p. 207). Le concept de transfert, théorisé par la psychanalyse, connaît parfois un élargissement de ses acceptions, selon les auteurs. Certains nomment "transfert" l'ensemble des phénomènes qui constituent la relation du patient au psychanalyste. Ce n'est pas la conception de FREUD, ni de ceux qui s'y réfèrent: tout investissement, positif ou négatif n'est pas transfert.

Peut-on constater certains effets du transfert en rééducation? Si oui, quel est leur lien avec le processus rééducatif lui-même? Nous nous proposons à présent d'élucider la première dimension de notre questionnement. Les réponses à la deuxième question ne pourront se compléter, se préciser, que progressivement, au fur et à mesure des exemples cliniques rencontrés.