3- Aller à la rencontre de l'enfant, "tel qu'il est", "là où il est". La rééducatrice, mise en place "maternelle", doit assumer une fonction contenante, une fonction conteneur, accompagner l'enfant.

3-1-Savoir attendre pour qu'une relation se noue. Période "d'apprivoisement".

La maîtresse de moyenne section a demandé en janvier l'aide du réseau pour Marie-Ange, alors âgée de 4 ans et dix mois. La fillette ne s'intéresse pas aux activités de la classe. Elle fuit la relation à l'adulte et ne répond pas aux sollicitations. La maîtresse la décrit, je la cite, comme "ayant l'air traquée" et "donnant une impression de vide" qui met l'adulte mal à l'aise, "vide", elle aussi, dit-elle, face à Marie-Ange. Ses relations aux autres enfants consistent surtout à les suivre, et en particulier, se centrent sur un garçon de sa classe qu'elle suit partout, imite en tout, envahit, "étouffe", selon la maîtresse.Marie-Ange dit de sa mère: "Ma maman est malade mentale". Les parents seraient malades mentaux tous les deux, mais le père "irait mieux" à présent. La maîtresse rapporte également une scène répétitive. Lorsque la mère vient chercher sa fille à la sortie des classes, elle apporte chaque jour un cadeau à Marie-Ange. Celle-ci lance à sa mère "un regard noir, dur", dit la maîtresse, regarde à peine le jouet ou le livre, et le jette au loin. La mère a sollicité une aide pour sa fille auprès de la maîtresse et demande à rencontrer quelqu'un du réseau.

Une rencontre est décidée avec Marie-Ange et ses parents dans l'objectif de proposer une rééducation éventuelle à la fillette. Mais l'enfant n'est pas à l'école le jour du rendez-vous, ni les jours suivants. La mère a accouché prématurément d'un petit garçon, et son état de santé contraint la fillette à séjourner chez les grands parents maternels.

Le mois suivant, les choses semblent à peu près rentrer dans l'ordre. Les deux enfants sont chez leurs parents. Je rencontre Marie-Ange avec sa maman. La fillette est très agitée, court en tous sens dans la pièce, renverse les objets, fait beaucoup de bruit pendant que sa mère parle. La mère présente la grand-mère paternelle comme rejetant ouvertement Marie-Ange, et renvoyant sans cesse à sa fille son incapacité à élever ses enfants. Elle parle de sa propre enfance, et de difficultés relationnelles importantes avec ses parents. Elle évoque son hospitalisation, suite à une tentative de suicide, alors que Marie-Ange avait quatre mois. Le bébé avait été gardé alors par les grands-parents maternels, puis dans une famille d'accueil. Il semblerait que cet épisode a duré environ une année.

La mère renouvelle sa demande d'aide actuelle pour sa fille, laquelle, après un épisode assez court d'énurésie et d'encoprésie à la naissance du petit frère, l'inquiète, sans qu'elle puisse vraiment préciser les raisons de son inquiétude. Elle rapporte que, ce matin, Marie-Ange était ravie de rencontrer quelqu'un "pour moi et pas pour toi", lui a-t-elle dit...D'où, peut-être, le bruit de Marie-Ange pendant que sa mère parlait?

Les premières rencontres avec Marie-Ange ont été très chaotiques. La fillette a d'abord manifesté une grande réticence à venir avec moi. La première fois, je lui rappelais le dessin qu'elle avait réalisé pendant la rencontre avec sa mère, et laissé dans la salle. Ce fut, me semble-t-il, ce qui la décida à venir ce jour-là. Le dessin laissé dans le lieu rééducatif, comme l'évocation par la parole de l'institutionnalisation de la rééducation avec la mère, ont semblé pouvoir "faire lien". A plusieurs reprises, il lui fut impossible de m'accompagner, et je restais avec elle un moment, respectant ses refus, la sentant angoissée de quitter sa classe. La fillette était souvent absente de l'école et je n'arrivais pas à nouer une relation un tant soit peu suivie avec elle.

La mère, alors que son fils a trois mois, est hospitalisée d'urgence à l'hôpital psychiatrique. On retrouve Marie-Ange errant dans la rue. Elle fait un séjour de presque un mois chez les grands parents maternels, ce qui interrompt à nouveau mes tentatives de rencontre avec la fillette.

Fin mars, le retour de Marie-Ange dans une famille d'accueil avec son petit frère, nous permet de reprendre contact. Les réticences, cette fois-ci, bien que ravivées, sont de plus courte durée, et la fillette prend peu à peu du plaisir à m'accompagner dans la salle de rééducation.

Il faut noter ici que la fillette ne donne jamais la main à personne. Il est surprenant de la voir se promener avec ses parents ou venir à l'école avec l'un d'eux, toujours Marchant ou trottinant à quelques pas, soit devant, soit derrière. De même, comme il n'y a pas de local disponible à l'école maternelle pour notre travail, nous parcourons le court trajet jusqu'à l'école primaire, dans laquelle je dispose d'une salle spécifique. Marie-Ange ne me donne jamais la main pendant ce trajet, évitant tout contact corporel. Il semble qu'elle ait mis en place un système de défenses très structurées et rigides, vitales sans doute pour elle.

Que fait-elle en séance? Elle joue en particulier avec un poupon qu'elle nomme "Fragile" (le petit frère s'appelle Virgile), mais dont elle précise "qu'elle n'est pas la maman". Elle dessine. Elle parle et me parle. Une relation se noue enfin, presque paisible, jusqu'à fin juin, date des vacances. Cette relation reprend, comme prévu, lorsque Marie-Ange entre en Grande Section. Je rencontre à nouveau la mère, en présence de la fillette qui est très calme. Celle-ci joue à quelque distance, sans intervenir.

Lorsqu'un enfant a connu de telles carences affectives, un tel manque de sa mère et de sa permanence en tant qu'objet fiable dans sa présence et son amour, comment ne pas comprendre qu'il lui est impossible d'accorder d'emblée sa confiance à n'importe qui, et qu'au contraire, il lui est vital de se protéger? Peut-être que ma patience , le fait d'avoir respecté ses défenses , mon attente mise en actes et verbalisée à son égard, ont pu permettre qu'une relation enfin se noue?

Il est nécessaire, indispensable, d'avoir acquis la confiance de l'enfant pour qu'un quelconque travail puisse se faire avec lui, pour qu'une rencontre puisse avoir lieu. C'est ce que Yves de LA MONNERAYE (1991, p. 121 à 126), l'illustrant de l'épisode entre le Petit Prince et le Renard, appelle le "temps pour s'apprivoiser".

Ce temps d'apprivoisement, peut être le temps d'instauration du transfert.