5- Première demande à l'autre. Marie-Ange met en scène un jeu de "faire-semblant" et pose la question du désir de l'Autre... La question de l'aliénation et de la séparation du sujet est posée dans le lieu rééducatif. Partage du jeu et du plaisir.

Un jour, Marie-Ange parcourt en courant les derniers mètres qui nous séparent de la salle de rééducation, et se cache derrière le pilier. Je fais semblant de la chercher, je l'appelle. Elle rit, et encore plus quand je la "découvre". Elle est ravie de ce jeu qui deviendra un rituel pour elle avant chaque séance, et qu'elle reproduira peu après de la même manière en fin de séance, comme un cadre qu'elle poserait à chaque rencontre .

Marie-Ange ne pose-t-elle pas, à sa manière, la question fondamentale de l'aliénation du sujet: "Que suis-je dans le désir de l'Autre?". Ne joue-t-elle pas, dans le transfert de notre relation, ce que Jacques LACAN dit de la demande: ‘ "Toute demande ouvre un espace démesuré: d'être requête d'amour". (LACAN, 1971, p. 174). D'où, peut-être, les grandes difficultés que nous rencontrerons et qui persisteront, pour renouer la relation après chaque interruption, de son fait ou du mien; vacances, maladies, séjour chez la grand-mère...Mais l'autre qui est là ne répond jamais tout à fait. C'est ainsi que le nourrisson passe du besoin de satisfaction d'un éprouvé du corps, à la demande d'amour à sa mère, demande que celle-ci ne peut jamais combler 549 .

L'éclat de rire de la fillette quand je la trouve, sa jubilation, signifient peut-être que ce qui compte pour elle, toujours, c'est la réaffirmation de mon désir de sa présence , de son importance pour moi ,c'est cette démarche que je fais à son devant pour la chercher. On peut penser également qu'en ne changeant pas de cachette, elle s'assure que je la retrouverai toujours?

Je lui propose alors de cacher un objet. Elle refuse catégoriquement. Je modifie alors ma proposition. Un vrai jeu de cache-cache lui agréée. Elle se cache d'abord et m'appelle aussitôt. Je ne peux faire autrement que de savoir où elle est, d'autant plus qu'elle m'appelle sans cesse, mais je fais durer le plaisir et commente mes recherches. Eclats de rire de Marie-Ange quand je la "découvre". Ce jeu est un plaisir partagé . C'est à son tour de me chercher. Elle adopte la même stratégie, "faisant semblant" de me chercher, commentant: "Pas sous la table, pas dans la petite maison, etc..." Le jeu est tout à fait un "faire-semblant" pour celui qui cherche, simulant de ne pas trouver tout de suite.

L'important pour la fillette, n'est-ce pas, à ce moment-là, l'assurance de me retrouver ou que je la retrouve, la certitude d'une permanence de l'objet, la répétition d'une relation dans laquelle un plaisir partagé domine?

Marie-Ange demandera à reprendre ce jeu de cache-cache pendant plusieurs séances, avec toujours autant de plaisir.

Notes
549.

Nous avons développé ce passage du besoin à la demande, comme ouverture au désir, dans le chapitre VII, point 2-3. Ce passage a été repris dans le tableau de ce même point "Emergence du désir, dans l'écart entre besoin et demande insatisfaite".