Changements de place:

Le rééducateur, par contrat, rencontre l'enfant "là où il est", afin de l'accompagner dans son cheminement. Parcours dont seul l'enfant détermine les méandres, les pauses, les "retours sur ses pas", sur des positions familières, qu'il éprouvera comme nécessaires afin de s'assurer de sa route et de lui-même. L'adulte aidant ajuste ses propositions et ne précède pas l'enfant. Le rééducateur n'est pas maître du temps nécessaire à l'enfant pour réaliser son processus rééducatif. Il faut parfois beaucoup de temps pour que la confiance en un nouvel adulte s'instaure chez un enfant qui a justement "de bonnes raisons" de ne plus faire confiance à quelque adulte que ce soit. Il faut parfois beaucoup de temps pour que se déroulent certaines questions, pour que se rejouent certains événements. Plus leur charge d'angoisse est grande, plus il faudra de temps pour qu’ils émergent, au-delà des résistances, des mécanismes de défense qui les ont refoulés, enfouis, "interdits de parole" ou d'expression. Le travail avec les enfants en âge de l'école primaire, doit nécessairement prendre en compte la dimension du temps nécessaire à vaincre des résistances souvent beaucoup plus structurées que chez le très jeune enfant. L'adulte est quelquefois mis à distance, suspect, quant il n'est pas l'objet qui cristallise toutes les oppositions, toutes les révoltes. Il faut parfois de nombreuses répétitions pour qu'émerge enfin une réponse un peu différente qui fera ouverture, qui ménagera un écart suffisant pour que l'élaboration se poursuive.

Cette position du rééducateur vis à vis du temps, peut aller à l'encontre de certaines demandes institutionnelles, pour ne pas dire injonctions parfois, qui voudraient qu'un "projet rééducatif bien construit" détermine à l'avance la durée prévisionnelle de la rééducation, ce qui permettrait sans doute de "planifier" "les prises en charge"... L'emploi du vocabulaire traduit d'ailleurs le paradigme "rentabiliste" dans lequel se situent ceux qui parlent ainsi. Les rééducateurs doivent disposer d'arguments pour défendre d'autres positions qui s'étayent sur la réalité de la clinique et qui se réfèrent à des positions éthiques.

On peut considérer, semble-t-il, et Marie-Ange nous en a apporté une illustration, le transfert comme un adjuvant du travail rééducatif. C'est le transfert qui permet l'instauration d'une confiance suffisante pour que l'enfant accepte de représenter, rejouer, ce qui le taraude, l'encombre, avec cet adulte privilégié et disponible pour lui seul, qu'est le rééducateur. La place de "Supposé-savoir" nécessaire à l'instauration du transfert avec l'enfant, place instituée par maître, parents, enfant, est acceptée dans un premier temps par le rééducateur, "supposé-savoir" ce qui est bon pour l'enfant. L'adulte va travailler dans un deuxième temps à se destituer de cette place, afin de mettre au travail le savoir de l'enfant sur lui-même. La parole donnée à l'enfant lui donne la possibilité de parler comme un "Maître". Ce processus est supposé conduire à un savoir dont le rééducateur se fait gage et otage. Ce dernier accepte d'être utilisé, d'être support actif de ce travail de l'enfant, puis à la fin rejeté, exclu, éliminé. C'est ce qui constitue le ressort du transfert en rééducation.

En donnant la liberté de parole, en se positionnant comme prêt à tout entendre, à tout accueillir de ce qui vient de l'enfant, même s'il n'accepte pas tout et le verbalise, le rééducateur se place d'emblée dans une position transférentielle privilégiée, et une position décalée par rapport aux exigences du milieu social avec ses exigences groupales, milieu social dans lequel l'enfant doit s'insérer, d'une manière vitale.

Si la relation de type maternel, recherchée par l'enfant, représente l'immédiateté de la relation imaginaire qui n'accepte pas de délai, de béance, il ne faut pas oublier que la langue maternelle est aussi ouverture sur le monde, et initiation à la symbolisation.