Dans le transfert et grâce à l'intériorisation d'un cadre symbolique sécurisant, Malaurie construit un "territoire privé", un "espace potentiel" dans lequel elle "re-présente" et commence à symboliser, à élaborer ce qui encombre sa pensée.

Nous ne nous donnons pas pour objectif d'analyser tout le matériel qui y est présent. Avons-nous, d'ailleurs, compris "tout" ce qui s'y est joué? L'important n'est pas que le rééducateur comprenne "tout", qu'il "sache" tout, mais que l'enfant puisse exprimer ce qui le préoccupe, et qu'il puisse en élaborer quelque chose . Nous pouvons cependant formuler des hypothèses sur ce qu'exprime la fillette de sa problématique 566 dans cette unique séance, et que l'on peut entendre, déjà, dans le transfert. Ce qui est exprimé, l'est vis à vis de la mère, mais aussi vis à vis de la rééducatrice.

Les thèmes maternels, en termes de contenants, abondent. La tête de la mère (qui peut contenir des secrets), le panier, la baignoire, la boîte à trésors, la chauve-souris, dont il est explicité qu'elle porte les bébés, s'articulent à un appel à la capacité contenante d'un lieu rééducatif suffisamment clos, et à la fonction contenante de la rééducatrice. Malaurie exprime qu'elle a besoin de faire confiance à un adulte qui ne divulgue pas ses secrets.

La difficile opération de séparation d'avec sa mère, est redoublée par la séparation actuelle dans la réalité. Les voleurs ne sont-ils pas aussi ceux qui lui ont volé sa maman? L'appartement actuel n'offre pas, à ses yeux, la sécurité de l'ancien habitat (puisque sa mère y était).

L'ambivalence amour-haine s'exprime envers cette mère qui a eu un autre enfant, comme à l'égard de ce petit frère. Ces sentiments, Malaurie peut les éprouver envers la rééducatrice qui partage son temps et son attention avec d'autres enfants, qui pourrait trahir, elle aussi. Le panier se transforme en baignoire (ne peut-on se noyer dans une baignoire?), l'anse du panier se transforme en un serpent qui pique, qui peut apporter la mort. Heureusement, ce n'est pas elle l'agent des transformations, c'est "la fée", qui, en l'occurrence, serait plutôt une sorcière...Elle peut donc ne pas se sentir coupable de ses propres élaborations.

Sa question concernant le divorce est articulée à l'actuelle séparation de ses parents. Est-ce que c'est "pour de vrai?", comme disent les enfants. Est-ce qu'ils vont divorcer aussi, puisqu'ils sont séparés? (Elle formulera cette question à nouveau lors de rencontres suivantes).

Dans le même temps, elle s'interroge (ce n'est manifestement pas une question adressée à la rééducatrice), sur ce que c'est "s'aimer": "C'est s'embrasser?" Les questions concernant les théories sexuelles infantiles non résolues, affleurent.

Est-ce qu'elle peut être aimée, est-ce que je peux l'aimer? Est-ce parce qu'elle est "méchante"que je travaille avec elle? Son identité, l'image de soi, son narcissisme sont en jeu. Elle se met dans sa question .

Outre la satisfaction du besoin de sécurité, condition de possibilité à l’expression d'elle-même, à sa parole, en délimitant pour elle un dedans et un dehors, le cadre rééducatif, dans ses dimensions symboliques qui intègre la catégorie des différences , semble pouvoir offrir à Malaurie les conditions de possibilité de concrétiser un espace à mi-chemin entre rêve et réalité, entre le subjectif et l’objectivement perçu. Peut se construire pour elle un "espace potentiel", espace "trouvé-créé", “aire intermédiaire d’expérience”, dans le sens que donne WINNICOTT (1971) à ces expressions, à la limite entre le dedans et le dehors. “Trouvé”, car se construisant à partir des propositions du rééducateur, “créé” par l’enfant, par le seul usage qu’il fera de ces possibilités qui lui sont offertes. Malaurie semble pouvoir utiliser les fonctions sécuritaires et symboliques du cadre, pour étayer ses capacités créatives.

Dans la suite de nos rencontres, la plupart des questions qui ont été jouées, rejouées, reprises, modelées, remodelées, symbolisées, élaborées, dépassées, par Malaurie au cours de son processus rééducatif, sont présentes ici. Cette rééducation permettra à la fillette de, peu à peu, pouvoir penser par elle-même, ayant consolidé son propre espace psychique. Elle pourra "se séparer" de la rééducatrice dans les séances, et de sa mère, être plus autonome, en rééducation et dans sa vie quotidienne, être plus calme en classe, moins inquiète, et, de ce fait, pouvoir être élève.

Notes
566.

Le mot "problématique", est utilisé au sens de la psychologie. Il a été défini au chapitre VII, point 6-5.