2- Défauts et ruptures du cadre...Changements de place, et acte rééducatif.

2-1- Kevin ne peut décider de l'arrêt de sa rééducation, d'une place de sujet autonome et "séparé": il ne l'a pas "commencée" en tant que tel...

Un "défaut" du cadre met en évidence l'importance de certains rites, moments symboliques décisifs de l'inauguration d'une relation rééducative.

L'enseignante de Kevin 574 me rapporta un jour que le garçon l'avait interrogée à plusieurs reprises sur la date de l'arrêt de la rééducation. Intriguée, elle lui avait conseillé, chaque fois, de m'en parler. Kevin ne l'avait pas fait. J'attendais donc qu'il l'évoque lui-même. Bien que son évolution plutôt positive ne s'opposait pas vraiment, à mon sens, à un arrêt, je considérais que rien ne pressait. Il apportait à ce moment-là de nombreuses et importantes questions sur la mort, celle de son chien, celle de l'enfant d'un ami de sa mère, etc...(Peut-être parlait-il de "la mort" de la relation rééducative, et je ne l'entendais pas?)

Après quelques séances de la sorte, dans laquelle il n'abordait pas le sujet, je me décidais à "lui tendre la perche", et lui demandais s'il avait déjà pensé à arrêter son travail de rééducation. Il me raconta alors ce que je connaissais de ses demandes à son enseignante, et de la réponse de celle-ci.

Voici notre échange 575 :

J: - Pourquoi ne l'as-tu pas fait?

K: - Je le fais maintenant.

Je l'interroge sur la raison qui a pu l'empêcher de le dire, alors qu'il s'exprime librement d'habitude. Il répond qu'il ne sait pas. Que s'est-il passé? Se souvient-il de la manière dont s'est décidée sa rééducation? Qui a décidé? Il énumère alors toutes les personnes qui auraient pu le faire:

K - la maîtresse? le directeur? ma mère? Toi?...

J- Qui reste-t-il?

K - Moi, non,... le directeur?

En reprenant rapidement mes notes concernant la chronologie de nos rencontres, je m'aperçois soudain de ce qui s'est passé, et je lui en parle. Nous avions commencé à nous rencontrer pour les séances préliminaires, une seule fois avant les grandes vacances, à la suite de la rencontre avec sa mère. Nous avons repris, comme prévu, en septembre. Prise dans l'action, j'avais oublié de marquer la scansion et l'inauguration de la rééducation, par la question que j'avais pourtant annoncée en juin, en présence de sa mère, de sa décision de rééducation . Il apportait du "matériel", ses préoccupations, ses questions, j'avais considéré implicitement sa décision comme un fait acquis. D'où, à présent, sa difficulté à envisager même que la décision de l'arrêt pouvait lui incomber, en tant que sujet responsable et reconnu. La seule personne qu'il avait éliminée d'office, à peine prononcée, dans cette recherche de la personne décisionnaire, effectuée à partir de mon incitation, c'était lui-même.

Qu'en était-il de sa décision présente? Kevin déclara aller beaucoup mieux "dans sa tête", et ne plus avoir besoin de la rééducation. La situation familiale s'était décantée d'ailleurs depuis le début de nos rencontres, et il voyait plus souvent son père. Bien que son enseignante avait eu l'occasion de me dire quelque temps avant qu'elle ne considérait plus Kevin comme un enfant en difficulté, nous convînmes que je m'en assurerai auprès d'elle. S'il en était ainsi, nous arrêterions notre travail après deux rencontres à venir. C'est ce que nous avons fait.

Notes
574.

Nous avons parlé pour la première fois de Kevin dans le chapitre VII, au point 5-7. Il y était question du "trop de sens" attaché aux apprentissages scolaires, des préoccupations mobilisant sa pensée et le renvoyant aux souvenirs heureux de chasses avec son père, souvenirs entrant en conflit avec les propos dévalorisants de la mère à l'égard de son ex-mari. Il était difficile de ce fait pour le garçon de conserver dans sa pensée des liens positifs avec ce père.

575.

Dans le dialogue, nous indiquons "K" pour Kevin, "J" pour la rééducatrice.