3- Benoît peut utiliser son imaginaire et (re)découvrir ses capacités créatives.

Le cadre rééducatif, dans ses différentes fonctions, a constitué la "colonne vertébrale" des rencontres avec Benoît 579 . D'une manière plus visible, peut-être, que pour d'autres enfants, vu l'importance des difficultés du garçon, les fonctions et les effets de ce cadre, apparaissent dans leurs différentes dimensions. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi de relater ici, les "effets du cadre" dans la durée d'un processus rééducatif, qui s'est déroulé sur presque deux années scolaires.

Elève de Cours Moyen première année, Benoît, dix ans, était suivi en psychothérapie au Centre médico-psychologique depuis cinq ans. Sa personnalité présentait, semble-t-il, des "traits psychotiques", sans être dans une pathologie affirmée. J'arrivais dans une nouvelle école, en remplacement d'un collègue rééducateur parti à la retraite, qui travaillait déjà avec Benoît. J'avais rencontré le psychothérapeute du CMP afin d'estimer avec lui la pertinence de cette aide rééducative, et afin d'en situer, le cas échéant, les objectifs, les limites.

Le garçon évitait, autant que faire se peut, toute "trace". Il lisait assez bien mais rejetait, chaque fois que possible, tout écrit produit ou non par lui. Il en était au point de ne plus rien faire en classe, même pas copier, ni "faire-semblant" de travailler (ce sont les paroles de son maître). Nous avions convenu avec le psychanalyste, le garçon étant en telle difficulté dans l'école, en telle souffrance, qu'il semblait utile de lui offrir un "relais", véritable "lieu tiers" de parole, au sein même d'une école dans laquelle il ne trouvait que peu de satisfaction, de plaisir, d'espace de "respiration".

Toute sollicitation de l'imaginaire plongeait Benoît dans l'angoisse. Son "moi rétréci" semblait très refermé sur ses défenses. Comment ouvrir une brèche sans trop de danger pour lui? Nous avions formulé le projet que mon aide tenterait de réconcilier Benoît avec son imaginaire, en sollicitant ce dernier, en faisant le lien avec le principe de réalité, et en tentant de l'articuler avec "du" symbolique, dans l'ici et maintenant des histoires que le garçon construirait, peut-être, en séance de rééducation. Il est vrai qu'il est inhabituel et insolite de conjuguer psychothérapie et rééducation. L'analyse que nous avons fait des repères possibles en vue de l'indication de rééducation, semble infirmer cette possibilité. Il s'agit de deux indications différentes. Pourquoi avons-nous cependant choisi d'évoquer ce "contre-exemple" qui semble contredire toutes nos analyses antérieures?

Si nous rapportons quelques moments de notre rencontre avec Benoît, et de son évolution, c'est que ce garçon, en grande difficulté et en grande souffrance, a exprimé plus nettement que d'autres, peut-être, les questions en jeu dans ces rencontres rééducatives. Les repérer, nous permet d'être vigilant, attentif, en alerte, pour tous les autres. Cette situation, "limite", nous rappelle également que, si un cadre est indispensable, il est tout aussi nécessaire de le soumettre à l'analyse. Le cadre est un guide, un "garde-fou", il ne doit pas devenir un carcan. Si le cadre permet de poser les "règles du jeu" de la rencontre, il a également une fonction singulière dans chaque situation.

Le premier entretien avec Benoît et sa mère illustre particulièrement bien la nécessité absolue de fermer symboliquement la porte du lieu rééducatif de l'enfant. Cette nécessité a été confirmée par la suite. Nous déroulerons dans le temps, nous soumettant aux nécessités de l'exposé, ce fil de notre analyse qui concerne les interactions "Benoît-mère-lieu rééducatif", pour reprendre, dans un deuxième axe d'analyse, ce qui s'est passé dans les relations cadre-processus pour Benoît.

Notes
579.

Nous avons présenté Benoît parmi les enfants dont les préoccupations d'ordre familial pouvaient entraver les processus de séparation d'avec la famille. Nous avons évoqué les difficultés de Benoît face à un imaginaire sans doute considéré comme dangereux, imaginaire qu'il avait, de fait, "mis en panne". Nous avons évoqué ses difficultés à entrer en relation avec les autres enfants. Nous avons rapporté son inquiétude permanente vis à vis d'une mère psychiquement souffrante, qui avait tenté de se suicider lorsqu'il avait cinq ans. Benoît semblait avoir "de bonnes raisons" d'aller mal, en effet...