3-1- Clôture symbolique du lieu rééducatif: une aide à se séparer, pour Benoît.

3-1-1- Une fonction du cadre: poser des limites dedans/dehors.

Tentatives d'envahissement du lieu rééducatif par la mère.

Protection du lieu rééducatif contre le désir d'emprise ou de maîtrise parental.

Lors de notre première rencontre, en septembre , la mère de Benoît parle beaucoup, avec un débit très rapide. Elle déverse son discours dans un flot continu. Lorsque je peux trouver un court espace pour intervenir, tentant de lui faire préciser ou compléter ce qu'elle vient d'énoncer, ou me risquant à apporter une note discordante à ses affirmations, elle ne m'entend pas, et ne tient pas compte de mon intervention. Elle explique ainsi être partagée entre le désir de vivre à nouveau avec un mari dont elle vient de divorcer, mais qu'elle voit très souvent, le soir, quand les enfants sont couchés, et le souvenir de "l'avoir foutu à la porte" (sic). Elle présente ce mari comme ayant été violent avec elle et ses enfants, peu fiable, ne tenant pas parole, y compris pour la pension alimentaire. Le frère de Benoît est depuis peu en famille d'accueil et en thérapie à l'Hôpital de Jour, après avoir subi un viol. Quand elle en a "ras le bol" (sic), elle menace ses deux autres enfants: "Je leur dis, je vais vous placer et je m'en vais". (Elle répétera ces propos lors d'entretiens ultérieurs. En janvier, elle reprendra et ajoutera: "Parfois je dis que je vais les placer, que je comprends pourquoi les femmes se tuent."). Elle reconnaît être presque toujours présente à l'école. Elle reste en effet derrière les grilles pendant les récréations, "pour surveiller que personne n'attaque mon fils". Il lui est arrivé d'intervenir elle-même, entrant dans l'école pour disputer un enfant. Elle rapporte qu'elle n'a pu résister et qu'elle est entrée plusieurs fois également pour montrer à Benoît un achat qu'elle venait de faire pour lui.Elle parle de la récente incarcération de son mari, et des visites de Benoît à son père. Elle insiste, à plusieurs reprises: "Si vous saviez comme il lui ressemble, les cheveux, les yeux, tout!" Et, s'adressant à son fils: "Tu es beau comme ton père.". Elle voudrait que je voie le père, pour m'en rendre compte.

La mère évoque ensuite la possibilité de fêter les anniversaires de sa fille et de Benoît:

- "Ensemble, cela coûterait moins cher."

Le garçon s'écrie alors: - Je veux pas tout mélanger!

Elle présente Benoît comme exigeant, réclamant toujours quelque chose, et elle ajoute: - Comme il sait que je cède toujours...

Alors que je prends des notes, elle me demande tout à coup: - Qu'est-ce que vous faites de ce que vous écrivez?

Je la rassure sur le caractère strictement personnel de mon écrit. (Je pense alors qu'elle a une grande habitude des enquêtes sociales).

J'aurai de grandes difficultés à interrompre l'entretien avec la mère. Elle tente de le poursuivre sur le pas de la porte, puis dans le couloir. C'est à ce moment-là qu'elle me demande:- Je voudrais que vous expliquiez à Benoît comment on fait les bébés. Vous savez mieux faire que moi. J'ai peur de le choquer. J'ai dit: "Une graine dans le nombril". Mais il m'a demandé: "Par où ça sort?" Il pose la question depuis longtemps. J'ai dit: "Quand tu seras grand", mais je vous demande de lui expliquer, vous. Je lui ai parlé de tout: de la drogue, du sida, des préservatifs...après, par où ça sort, je ne sais pas lui dire. Je ne veux pas le choquer...

En partant, la mère me demande quand nous allons nous revoir. Je lui réponds que je lui ferai signe quand cela me paraîtra utile, mais qu'elle-même peut me contacter.

Je décidais alors de poser des limites strictes aux visites de cette mère trop envahissante, qui risquait de prendre possession du lieu rééducatif de son fils, si on la laissait faire. La parole de Benoît: "Je veux pas tout mélanger" prenait un accent de vérité face à cette mère qui mélangeait tout. Il apparaissait urgent de tenter de séparer les différents lieux de vie du garçon, afin de contribuer à un travail de différenciation de sa vie, de celle de ses parents. Mais les choses n'étaient pas aussi simples. C'est la raison pour laquelle nous devons poursuivre sur ce thème, avant d'analyser les interactions au sein de nos rencontres singulières.

Si le thérapeute de Benoît m'avait expliqué qu'il s'était donné comme tâche de proposer son propre manque, sa propre faille, au sein des séances de psychothérapie, comment travailler avec ce garçon, dans un cadre de rééducation? Benoît rencontrera cette faille avec la rééducatrice, sans aucun doute, dans la mesure où elle ne se propose pas pour le combler, ni pour être comblée par lui. Comment contribuer, conjointement avec l'intervention de l'analyste, mais d'une place différente, à aider Benoît à se séparer de sa mère?