Benoît exprime sa difficulté d'enfant, et symbolise sa difficulté à "se séparer".
Au mois de mars , la mère apporte dans le lieu rééducatif, ses problèmes de couple et ses démêlés avec la maîtresse de son mari, événements auxquels Benoît a été directement impliqué, pris comme témoin. On lui a demandé de prendre parti. La mère est hors d'elle et envisage divers passages à l'acte que je tente de tempérer. Je tente surtout de répéter fortement à la mère la nécessité pour les enfants d'être en dehors des histoires des adultes, mais j'ai le sentiment qu'elle ne m'entend pas, que c'est une chose impossible pour elle. J'apprends incidemment que Benoît dort avec sa mère "quand il a peur". Sous le coup de la colère contre le père, elle nie son manque, en tant que femme, et nie le père, pour Benoît. Au cours de ce deuxième entretien en présence de son fils, elle déclare qu'elle ne veut plus du mari, qu'elle s'en passe très bien et que l'on peut exister sans le père.
- Benoît n'a plus de père", dit-elle. Elle ajoute qu'elle veut faire déchoir son mari du droit de visite. Pendant ce temps, Benoît modèle un animal qui me fera penser à une chouette, dont il troue le dos avec le doigt, comme une petite caverne.
Après le départ de sa mère, je lui demande ce que c'est. Il répond ne pas savoir, mais déclare, à propos du creux: "C'est une grotte". Je suis encore sous le coup de cette rencontre éprouvante avec la mère, et je lui dis: " Tu aimerais avoir un coin comme cela pour te nicher?" Il approuve aussitôt.
Benoît n'a-t-il pas symbolisé, pendant cet entretien, la relation de complétude dans laquelle il est avec sa mère? Comment Benoît, actuellement, peut-il exister? ‘ "Tout se rattache au fait que l'enfant est donné à la mère comme substitut, ou même équivalent, du phallus" ’ (LACAN, 1956-1957, p. 67). Benoît semble se proposer comme objet qui pourrait se loger dans le manque de sa mère, pour la combler. ‘ "Cette mère inassouvie, insatisfaite, autour de laquelle se construit toute la montée de l'enfant dans le chemin du narcissisme, c'est quelqu'un de réel, elle est là, et comme tous les êtres inassouvis, elle cherche ce qu'elle va dévorer...Le trou béant de la tête de Méduse est une figure dévorante que l'enfant rencontre comme seule issue possible dans sa recherche de la satisfaction de la mère." ’ (LACAN, 1956-1967, p. 125).
Actuellement, Benoît protège sa mère, et elle a besoin de lui. Il la complète. Il dira, lors de la séance suivante, alors que les services sociaux semblent vouloir concrétiser leur idée de son placement dans une maison d'enfants:- J'aimerais pas aller en pension. Je m'enfuirai. Je suis trop collé. Moi, j'aime bien ma mère". (En juin, alors qu'il est toujours question d'un départ éventuel que la mère refuse avec force, il exprimera sa situation ainsi: "Je suis accroché à elle").
Dans la mesure où la mère nie son manque et annule la fonction du père, Benoît n'a plus qu'une ressource, "trouer" la mère, tenter de provoquer ce trou, ce manque, pour exister. Cette négation du père fait barrage à la fonction symbolique séparatrice de ce père. La négation, l'annulation de la mère ‘ "porte sur un lieu précis: l'inscription du Nom-du-Père au lieu de l'Autre maternel." ’ (GUY, 1986, p. 25).
Au début de la séance suivante, Benoît m'annonce:- Moi, j'ai dit à ma mère que je m'occupe plus d'eux...C'est leur affaire".
(J'entends: "si je le pouvais", et je lui réponds: "Mais ce n'est pas facile...")
Il reprend son modelage troué, le gratifie de "débile", et précise qu'il est "entre les deux, à moitié méchant, et à moitié gentil. Comme les bandits quand ils veulent se montrer gentils... Ni oiseau, ni personnage."
Benoît confirme ainsi, semble-t-il, qu'il y avait un lien entre cet oiseau et sa mère.
Il choisit de prendre les marionnettes, et inventera sa première "vraie" histoire, dans la mesure où elle est un tant soit peu construite, dans l'espace-temps rééducatif. Je suis spectateur 581 .
Nous relaterons cette histoire au point 3-3-1.