3-1-4- Une séparation possible? Le rééducateur comme tiers.

En septembre (deuxième année de la rééducation de Benoît avec moi), je rencontre le père, la mère et Benoît. Le père effectue alors "un séjour" (qui durera environ trois semaines), dans sa famille.

Benoît est assis entre ses parents, mais très proche physiquement de son père. Je suis surprise de lui voir prendre la main de celui-ci, la caresser, la poser sur sa joue, poser sa tête dessus, comme un très petit enfant. Le père se prête volontiers à ce contact, lui caressant la joue à son tour. Cet entretien à trois sera très difficile. Les problèmes du couple, la demande d'amour et de présence de la femme à son mari, prend le pas sur les préoccupations concernant Benoît. Le mari ne répond pas à sa femme mais m'adresse de la tête des gestes de dénégation ou d'exaspération. La mère me prendra à témoin de la ressemblance entre le père et le fils, et ajoutera, soulignant ainsi une autre ressemblance du père et du fils: "Il fera comme lui, il me quittera". Benoît, devant cette assertion, et rendu fort, peut-être, par la présence de son père, par ma présence aussi, en tant que tiers, confirme instantanément: - "Oui, je te quitterai. Tu ne crois pas que je vais vivre toute ma vie avec toi? Il faudra bien que tu me laisses partir. Moi aussi je vais faire ma vie.

Je m'interrogeais sur la place possible pour Benoît: homme pour la mère, petit enfant pour son père. A quel moment pouvait-il avoir dix ans? Quand pouvait-il être reconnu, exister, à une place compatible avec un enfant de son âge? Le lieu rééducatif, complémentaire, mais différent de la classe, n'était-il pas un lieu privilégié pour cela?

La mère, dans son fonctionnement personnel, mettait Benoît en place de signifiant du père, et ne lui donnait pas une place d'enfant. Il devait prendre soin d'elle. Ce signifiant devait être incarné pour cette femme, et il était vicariant. C'était Benoît, c'était le père, ce pouvait être le frère que la mère exigeait de "récupérer" (sic) si Benoît devait partir. Il n'y avait pas de manque, pas de trou symbolique chez cette femme. Le désir de la mère pour le père semblait cependant avoir été suffisamment opérant pour que Benoît ne soit pas psychotique. Il avait pu accéder à certains symbolismes, entrer dans les apprentissages, il savait lire, même si certains acquis paraissaient superficiels, "de surface", sans lien entre eux. Les défenses de Benoît étaient très importantes et les trois protagonistes familiaux (père-mère-Benoît) retiraient des bénéfices certains de leur système relationnel.

En novembre, Benoît rapporte que le père est retourné vivre "chez sa copine". Il ajoute: "Moi, je m'en fous, il fait ce qu'il veut. mais il est fou mon père. Elle a quarante quatre ans, et lui, seulement trente-six! Elle se met beaucoup de crème anti-rides!"

Benoît a surtout parlé de sa famille et de ses préoccupations familiales en présence de celle-ci, ou tout de suite après. Parmi ses fonctions, le cadre rééducatif avait dû remplir celle de protection contre le désir d'emprise, de maîtrise de la mère, qui s'exerçait dans sa famille et vis à vis de l'école. Il avait dû être une protection contre son intrusion. Il avait dû interdire l'envahissement du lieu rééducatif de Benoît par cette mère. Il n'était pas possible d'ignorer complètement la famille non plus. Les préoccupations de Benoît, tellement imbriquées avec celles de ses parents, nous contraignaient à tenter de travailler, tant faire que se pouvait, avec cette famille. Rencontrer, à intervalles réguliers, les parents en même temps que leur enfant, et tenter d'y tenir une place de "tiers", a peut-être permis, semble-t-il, que certaines choses "bougent un peu" dans leurs relations. Benoît affirmait davantage son indépendance, au bout de deux années.

Fermer symboliquement l'espace-temps rééducatif de Benoît avait été indispensable d'autre part, pour que quelque chose puisse s'y élaborer pour le garçon. "Je veux pas tout mélanger", avait-il déclaré. Le cadre rééducatif avait réussi à instaurer pour Benoît, me semblait-il alors, un lieu,"quelque chose qui est organisé en termes de places, c'est-à-dire qui a des structures symboliques repérables et nommables, où les places sont assignées. Elles tiennent ensemble."(GUY 1986, p. 25). Dans les moments des rencontres singulières, Benoît semblait avoir besoin que quelqu'un soit là pour "le contenir". Il semblait avoir un grand besoin de la permanence du cadre. Quels besoins Benoît a-t-il exprimé? Sur quels points le cadre rééducatif a-t-il pu répondre, constituer un étayage, des ressources structurantes vis à vis de ses besoins fondamentaux?