3-2- Benoît exprime son besoin impératif d'un cadre sécuritaire et limitatif.

3-2-1- Aider à repérer la différence.

Certains enfants sont particulièrement angoissés par toute situation nouvelle (certains adultes aussi). Il s'agit dans un premier temps, et avant que tout travail d'élaboration puisse être entrepris, de rassurer, de poser des limites, de construire pour eux un "contenant" possible à cette angoisse. Benoît était de ceux-là.

Je rapporte ici les principaux points de notre première rencontre, sans la mère, en septembre 582 .

Benoît- ça sert à quoi la rééducation? A nous taper sur les fesses?...Parce que P...il était "psy" (sic). Madame X... aussi...Je vois plein de "psy"...au CMP aussi.

Je lui rappelle que je ne suis pas psychologue, mais rééducatrice. Je souligne que P... était rééducateur aussi, et que nous faisons le même métier. Benoît évoque alors ce qu'il fait avec le docteur R...: il parle, il joue aux légo... Puis il reprend: - P...je l'aimais bien. Il était vieux. On parlait aussi de mon père, de ma mère... Vous faites comme P...?

Je lui réponds que notre travail va sans doute dans le même sens, même si nous ne procédons peut-être pas exactement de la même manière, dans la mesure où nous sommes des personnes différentes.

Il évoque alors ses vacances de Noël.

Benoît:- C'est surtout ma mamie N... que je veux qu'elle meure. Elle fait chier (sic). Elle veut toujours C... Elle est belle, C... J'en ai une autre, A... La vraie grand-mère, je sais pas qui c'est..

(Je lui demande qui sont les grands parents).

Benoît:- Des parrains qui nous donnent des bonbons, viennent nous chercher et nous font la soupe. Mon grand-père il est très sympa. Il me donne plein de choses. L'autre, je m'en fous. C'est du passé. Je pleure pas. Je l'ai pas connu.

Je suis né un vendredi 13-11...à quatre heures de l'après-midi. J'avais froid.

Pourquoi ma mère elle m'a fait vivre? J'ai pas envie d'exister. J'aime pas me voir dans la glace. Je voulais rester dans l'espace ou dans le ventre de ma mère.

J'entends toutes les questions qu'il se pose à propos de sa naissance, de son existence, de son être. Son rejet de l'image de soi, "colonne vertébrale" du rapport aux autres et à soi-même" 583 , saisie dans le miroir, est-elle à relier à cette difficulté vis à vis de l'imaginaire, à laquelle elle appartient? Si elle constitue la base du narcissisme, de l'estime de soi et de la confiance en soi, son atteinte compromet les capacités du sujet à se construire son identité "séparée", affirmée, autonome.

Il parle ensuite de ses peurs, liées selon lui aux films qu'il regarde à la télévision, et qui lui font faire des cauchemars. Mais il aime avoir peur, dit-il.

Benoît:- Quand est-ce que je viens?

Pour répondre à sa question, je dois imposer ma voix, le faire taire, car il est reparti sur autre chose, comme s'il voulait à tout prix occuper tout l'espace, ne pas laisser de "trou", de blanc, de vide...comme s'il ne voulait pas laisser de place pour la peur, de place pour l'angoisse... pas de place pour ma parole...

Je lui rappelle le jour et l'heure, je lui donne un repère par rapport à la récréation. Je lui précise que je l'avertirai ou le ferai avertir si je suis absente.

Benoît:- P...il faisait chier (sic), il manquait tout le temps...J'avais besoin d'aide encore...

J'entends à la fois sa colère contre P..., sa difficulté par rapport au manque. P... lui a parfois "manqué" ou manqué à ses engagements. J'entends son regret de cette relation perdue, sa difficulté à faire le deuil d'une relation transférentielle mal liquidée, son appel à l'aide. J'entends également un avertissement à mon adresse "Tu n'as pas intérêt à manquer!.

Benoît:- Moi, je m'en fous de redoubler...de rester ici (à l'école primaire). A dix-huit ans je me casse... A dix-huit ans je m'en fous, je prendrai des bagnoles, des nanas super belles! Ici, il y a plein de filles qui me courent après.

Je sais que le père vient de sortir de prison pour des vols de voiture, et je pense qu'une identification au père est manifeste!

Il clôt l'entretien, après ma (discrète) référence au principe de réalité, en lien à ses derniers propos, en se levant. Il veut tout regarder dans la salle. Il explore...

Notre intention n'est pas d'analyser ici tout le sens du matériel apporté par Benoît qui concerne sa vie personnelle. Il suffit pour nous de l'entendre, pour le sentir en grande souffrance. Benoît disposait d'un autre lieu, la psychothérapie, pour explorer certaines des pistes qu'il lance, ici, en désordre. Notre attention se centre sur l'angoisse exprimée par le garçon face à cette situation nouvelle. Il est déjà venu en rééducation, bien sûr, mais le rééducateur a changé.

Sa parole, son débit, sa manière de présenter les choses, rappellent étrangement ceux de sa mère. Je suis saisie de cette ressemblance. La non-différenciation des lieux (psychothérapie, rééducation) n'a rien de surprenant, compte tenu de ses difficultés concernant sa construction psychique. Il y a, de toutes façons tellement de "psy", tellement de monde qui "s'occupe" de Benoît et de sa famille (y compris la thérapie de la mère, celle du frère ou celle de la petite sœur qui est envisagée à présent, les éducateurs, les assistantes sociales...), que l'on conçoit la difficulté du garçon à se repérer. Il est vrai également que le manque d'écoute de la mère avait peu permis de poser les choses clairement. Benoît se révélait plus apte que sa mère à entendre, lorsqu'il était seul. Un de mes objectifs devenait donc d'aider Benoît à différencier ses divers lieux de vie, les personnes qui intervenaient auprès de lui et leurs fonctions, sa vie et celle de ses parents. ‘ "...aider à repérer la différence. Le lien entre les choses ne peut se faire qu'après la découverte de la différence de chacune d'elles par rapport aux autres...C'est du symbolique...Sinon, il n'y a pas de lien, mais confusion entre elles." ’ (LA MONNERAYE, 1991, p. 128).

Les paroles qui fusent, se bousculent, au point que je dois parfois en interrompre le flot, les propos concernant des préoccupations multiples, sont ponctuées de questions sur le cadre. Faisons porter le projecteur sur celles-ci.

Notes
582.

"P..." est le rééducateur précédent. "C..." est sa sœur, madame "X..." la psychologue scolaire, "le docteur R..." est le médecin psychiatre du CMP qui le suit en psychothérapie. Cette séance fait donc immédiatement suite à celle que nous avons rapportée au point 3-1-1..

583.

Dans le chapitre VII, point 6-1.