3-3-1- Benoît accepte de faire appel à son imaginaire, et "met en scène" ses préoccupations actuelles.

Appel à la fonction contenante et à la fonction conteneur de la rééducatrice.

Constitution d'un espace transitionnel d'échange et de création.

Les "effets" de la rééducation avec Benoît, ont été qu'il a pu, peu à peu, sortir d'une "diarrhée verbale", d'un flot de paroles qui se présentait le plus souvent sous la forme d'un monologue dans lequel l'autre ne semblait pas exister, pour échanger dans des dessins à deux auxquels il prenait de plus en plus de plaisir.

Les premières propositions de dessin acceptées par Benoît furent des "squiggles", inspirés de la technique de WINNICOTT 588 . Ce sont les seules "traces" qu'il acceptait de réaliser. Si l'imaginaire s'élabore à partir de la saisie de l'image du corps dans le miroir, l'image de son corps par Benoît semblait peu solide, peu fiable. N'avait-il pas exprimé, lors de notre deuxième rencontre, qu'il n'aimait pas se regarder dans la glace, liant cette image à celle du fait même d'exister? La forme ludique de ces "gribouillages", présentés comme des "devinettes" posées à l'autre, l'avait incité, sans doute, à accepter ce jeu. La participation de l'adulte dans le graphisme, la forme alternative de l'expression, ont permis que se construise un espace transitionnel d'échange et de création, même rudimentaire. Ces dessins servaient de support à construire quelque chose qui pouvait s'apparenter à une "histoire", souvent décousue, mais tentée. Les formes phalliques y abondaient, sans être nommées comme telles, la plupart du temps. Les autres thèmes récurrents, étaient des fantômes, des batailles dans l'espace, très chaotiques, sans suite, des images conflictuelles.

Son intérêt pour "les fantômes", signifiait-il son intérêt pour les questions sexuelles, dans une pensée trop sexualisée pour être disponible à autre chose, question reliée à celle des origines? Au-delà de la vie, il y a un "avant" et un "après". La mère avait souligné les nombreuses questions de son fils concernant la sexualité. Les réponses actuelles de cette mère, semblaient, non seulement ne pas satisfaire les demandes de Benoît, mais elles pouvaient jeter encore un peu plus de trouble, de confusion, dans la pensée de celui-ci. Je ne souhaitais pas entrer dans la demande directe de la mère (formulée dans le couloir), "d'informer" Benoît, avant que cette demande devienne celle du garçon. Celui-ci avait exprimé, lors de notre première rencontre, son mécontentement " d'être né". Pourquoi n'était-il pas "resté dans l'espace"?

Si les squiggles ont fait intervenir alternativement chacun des interlocuteurs de la rencontre, dans une production devenue commune, l'intégration de la rééducatrice dans une place reconnue par l'enfant, dans les autres jeux, s'est construite progressivement.

Nous sommes au mois de mars (première année de rééducation). Cette séance suit une rencontre avec la mère 589 .

"J'ai pas besoin de vous", déclare-t-il, en choisissant des marionnettes.

Je serai donc d'abord spectatrice, mais il m'adresse son jeu .

Benoît: - Je vais vous présenter la poule et le renard. Je cherche le renard. je ne le trouve pas.

La poule: on s'ennuie, on m'a abandonnée. Je vais chercher le chat. J'espère qu'il ne m'abandonnera pas.

Benoît met en scène une bataille entre le chien et le cochon, puis il m'appelle:

- Viens, j'ai besoin de toi. Tu prends le coq et tu vas les séparer.

(En réalité, je n'y arriverai pas car la seule chose possible pour le coq sera de recevoir des coups, de la part des deux autres personnages)

.

Est-ce sa solitude, qu'il exprime ainsi? Son "abandon" par son père? Cette "bataille" entre chien et cochon, avec un coq qui ne peut que recevoir "des coups", est-ce sa propre représentation, au sein du couple parental? Est-ce ma position, "entre-deux" également, représentation de cette fonction "contenante" et "conteneur", entre ses parents et lui, entre son univers mental chaotique et le monde social et scolaire? Toujours est-il qu'il m'intègre peu à peu dans son jeu .

Lors de la rencontre suivante, il instaure un "jeu interactif" en m'interpellant comme spectateur, avant de me demander d'animer un personnage avec lui, pour un jeu commun.

Dans cette histoire, "un chef de village à chapeau rouge, gentil", se bat contre "un monstre à cornes". (Il précise que cette nuit il a fait un cauchemar dans lequel il y avait "le diable aux cornes"). Le chef tue le diable. Un "chat magique" intervient et une nouvelle bataille se produit.

A un moment donné, je ne comprends plus, et je demande si le chat est mort.

Il m'interpelle:- Comment? Vous avez payé le film, il faut regarder!

Ah! madame, vous avez vu? un mot était écrit: "Monte dans cette capsule, elle t'emmènera tout droit vers la pièce magique.". Ah! une flaque! Il faut du sang pour me tuer! J'ai du sang, je vais tuer la flaque...Au revoir. Toute la terre est sauvée...

Benoît parvient, ici, semble-t-il, à exprimer quelque chose des conflits qui le préoccupent, à représenter, peut-être, certaines de ses peurs, à les symboliser. Depuis sa naissance, le garçon a connu les conflits violents entre ses parents. Il connaît actuellement un conflit interne et personnel difficile, "vécu de déliaison" par excellence, puisque les services sociaux parlent de le séparer, dans la réalité, d'une mère à laquelle "il est collé, accroché".

Si cette histoire semble mettre en scène, dans un premier temps, l'opposition imaginaire: méchant-gentil, amour-haine, la fin de l'histoire voit réapparaître des thèmes archaïques et pulsionnels, qui étaient le lot des "histoires" antérieures de Benoît. Le thème de la vie et de la mort y sont présents, mais une ouverture se dessine, peut-être, avec ce que l'on pourrait entendre comme une question concernant l'énigme de la naissance, puisque tout ce sang sert à tuer, mais aussi à naître, à "sauver la terre"...

Ces premières constructions, très rudimentaires, archaïques, paraissent exprimer son propre monde pulsionnel, des questions non formulées sur son identité sexuelle, comme les histoires familiales dans lesquelles il s'est trouvé pris depuis sa naissance, et sur lesquelles des mots n'avaient pas été mis. Pris en tenaille entre deux informulables, il pouvait, peut-être, en lien avec un adulte "contenant" et "conteneur", utiliser son imaginaire pour "inventer", sans trop d'angoisse.

Benoît réalisera d'autres mises en scène à partir des marionnettes, dans lesquelles nous animerons des personnages différents.

Notes
588.

Technique utilisée par WINNICOTT Chacun des partenaires propose alternativement un gribouillage que l'autre doit compléter, transformer, pour lui donner du sens. WINNICOTT présente sa technique en plusieurs endroits, et en particulier dans WINNICOTT (1958, p. 203 à 222).

589.

Relatée, au point 3-1-3.