1-2-Le signifiant: "le bon lait". Thèmes appartenant au registre oral: demande de nourriture, demande d'amour. Manifestations de la pulsion.

Le complexe d'intrusion semble avoir réactualisé le complexe du sevrage. Expression de pulsions orales. Baigné dans la jouissance de la pulsion, le sujet ne demande rien. Castration symbolique orale par le cadre rééducatif: une bouche pour parler. Une brèche dans la pulsion.

Dans les mises en scène de Nicolas, il s'agit tout d'abord d'une quête de nourriture, du lait en particulier, de la part de l'éléphant, de l'hippopotame, du singe, du cochon...

- "Tu peux me donner du lait?"

- "C'est moi l'oiseau. J'ai faim"

Parallèlement, les animaux "vont à la mer".

Cette quête de nourriture, se présente avec force, dans de nombreuses répétitions. Maintes fois répétée dans la bouche des différents personnages, elle aboutit à une première tentative de catégorisation, confuse toutefois:

" La vache donne du lait, les oiseaux, non"

Mais aussi: "C'est que les nounours qui donnent du lait. Les poissons leur ont donné." Il m'affirmera également un jour (13-06): " Regarde, le petit frère et lui c'est le papa.", alors qu'il a en main une truie qui allaite quatre cochons.

Méconnaissance? Provocation à mon égard? Il évoquera un jour les "tétons" de la maman. Il m'apparaît alors qu'il s'agit d'un déni de ce qu'il "n'est pas sans savoir", une réaction de défense, peut-être, à la perte personnelle de la relation de nourrissage avec la mère dont l'effet se trouve avivé par la vision quotidienne de la soeur en train de téter. Nostalgie d'une relation de complétude avec la mère, symbolisée par l'enfant au sein? Ce que Jacques LACAN (1938) décrit sous le nom de "complexe d'intrusion" et de "complexe de sevrage", semble correspondre à ce que Nicolas exprime pendant cette période."C'est le refus du sevrage qui fonde le positif du complexe, à savoir l'imago de la relation nourricière qu'il tend à rétablir", affirme Jacques LACAN (1938, p. 25). ‘ " ’ ‘ (Ce) ’ ‘ rapport organique explique que l'imago de la mère tienne aux profondeurs du psychisme et que sa sublimation soit particulièrement difficile."(id. p. 32).

Nicolas semble exprimer, à ce moment de son processus rééducatif, une quête effrénée de "l'objet perdu". Le lien est direct du lait à la mère, et au "sein", comme objet partiel, réactivant le fantasme de relation "fusionnelle" du nourrissage. Dans le complexe de sevrage, la ligne de coupure passe non pas entre l'enfant et la mère, mais entre l'enfant, le sein et la mère, rappelait ANSERMET à Lyon (1995). Dans le sevrage, l'enfant perd une partie de lui-même. Il perd une part de jouissance. Ce qui subsistera de la jouissance, c'est celle qui pourra être en jeu dans la pulsion. Nicolas en fera une démonstration des plus éclairantes.

On peut penser que si Nicolas revit avec une telle intensité cette demande de nourrissage, adressée à la mère, c'est qu'une petite sœur vient de naître. Ce que Jacques LACAN présente comme ‘ "complexe d'intrusion" ’ semble pouvoir nous aider à mieux comprendre ce qui se passe. Comment le définit-il? ‘ "Le complexe de l'intrusion représente l'expérience que réalise le sujet primitif, le plus souvent quand il voit un ou plusieurs de ses semblables participer avec lui à la relation domestique, autrement dit, lorsqu'il se connaît des frères." ’ (1938, p. 35). La relation de l'enfant à ce frère, "usurpateur" d'une place, tendrait à montrer que ‘ "la jalousie, dans son fonds, représente non pas une rivalité vitale mais une identification mentale."(id., p. 36). l'enfant voit dans son frère la confusion de ‘ "deux relations affectives, amour et identification, dont l'opposition sera fondamentale aux stades ultérieurs." ’ (ibid., p. 38).

Nicolas est plongé à tel point dans cette quête orale, que ses capacités langagières en sont altérées. Si cette quête situe la bouche comme source de la pulsion dont l'objet serait le sein, elle peut être associée, sans doute, au langage de Nicolas que j'avais qualifié, d'emblée, et sans disposer de ces éléments, de "bouillie". Dans ces moments-là, la bouche de Nicolas, redevient exclusivement une bouche pour manger, et non une bouche pour parler. "Il semble qu'il garde les mots dans sa bouche", telle était la traduction que je faisais en l'entendant. Nicolas semblait se complaire dans un langage de la jouissance, dans une conversation privée dont la parole aurait assumé une fonction d'objet imaginaire, une parole non destinée à l'échange, se situant en dehors du discours. Plusieurs fois, lorsque je lui parlais, il m'a interrompu en me disant: "Pourquoi tu me parles?", ou bien, "Il est l'heure que je retourne en classe". Pris dans la jouissance de la pulsion, il ne demandait rien. Ainsi, le trajet de la pulsion, dans son caractère circulaire, faisait le tour de l'objet, autour d'un vide dont Nicolas ne voulait rien savoir. Elle ne pouvait qu'insister, se répéter, sans l'intervention d'un troisième élément.

Un jour, je lui ai demandé, d'une manière plus accentuée, sans doute, de répéter ce qu'il venait de dire, parce que je désirais comprendre ce qu'il disait. Il s'est mis en colère contre moi. J'ai eu ainsi le sentiment très net de l'avoir délogé de cette jouissance, et sa réaction confirmait les hypothèses antérieures.

Cependant, la relation autour de l'oralité, ou la relation de nourrissage, peut conduire à la mort. L'expérience de sevrage peut être vécue comme une "expérience de la mort dans la vie". C'est ce que Nicolas met en scène de façon répétitive, et sous différentes formes. Cette répétition cependant n'est pas à l'identique, et montre qu'un travail d'élaboration est à l'oeuvre.