1-4-"Une révision avant les vacances!"...

Castration symbolique par le cadre. La rééducatrice pose des limites, "des bords" à l'imaginaire. Le sujet s'instaure dans une prise de parole.

C'est notre dernière rencontre avant les grandes vacances. Nicolas semble déjà engagé dans la construction de son "mythe individuel", construction qui l'amènera peut-être (?), de signifiant en signifiant, à trouver ses propres solutions. Il construit seul ses histoires mais me prend comme témoin de ses scénarios. Je suis donc convoquée à participer en tant que spectateur, auditeur. Nicolas met en évidence l'importance de la parole qui s'adresse à quelqu'un. Il a trouvé à qui parler. Il m'interpelle d'ailleurs quand il lui semble que je ne regardais pas ou que je n'ai pas écouté.

J'ai le sentiment que Nicolas "commence à y être". Sa parole est plus claire à présent, et il semble avoir abandonné le "langage bouillie". Comme pour une "révision" avant les vacances, Nicolas met en scène un jeu qui résume les différents thèmes abordés jusque là. Il se montre prolixe, faisant intervenir une grande quantité de personnages. Je devrai intervenir pour en limiter le nombre. C'est, d'une certaine manière, "poser des bords", des limites, à son imaginaire, en introduisant une règle limitative dans le fonctionnement des séances.

"C'est la nuit. Tout le monde dort".

Lorsque le tigre se réveille, il accuse l'éléphant d'avoir tout mangé, et ils se battent. L'éléphant meurt. Une figurine représente une deuxième maman cochon qui allaite. "C'est la grand-mère ça!...La grand-mère va boire. Le tigre l'attaque. Elle est morte." Le tigre se coince la tête dans l'abreuvoir. Le crocodile l'attaque et le tue. Il est mort. "Le tigre, c'est un méchant, parce qu'il a fait morts la grand-mère et le zéléphant (ad litt.)".

L'éléphant se coince la trompe dans la barrière, l'oiseau le délivre, et le lion mange la queue d'un autre tigre.

Je dois à nouveau scander à plusieurs reprises l'arrêt de la construction de l'histoire afin que nous puissions ensemble la reprendre, la redire, la mettre en forme. Nicolas, en effet, emporté par son imaginaire, ajoute des personnages, des épisodes.

Nicolas reprend donc dans cette séance des thèmes déjà apparus dans les séances précédentes: thèmes touchant l'oralité: la nourriture, "il a tout mangé", mais aussi le fait de boire: allaitement maternel, complexe d'intrusion. Cette relation à travers la nourriture est présentée comme un enjeu vital par Nicolas, puisque, procurant la vie, elle conduit aussi à la mort dans les différentes mises en scène.

Revient également une expression éventuelle de l'angoisse de castration et le thème " Je suis coincé" (la trompe et la tête de l'éléphant, puis la tête du tigre, sont coincées, la queue du tigre est mangée par le lion). Les batailles se terminent par la mort. L'oiseau est la figure du héros qui régule, pacifie, sauve. Dans les contes de fée, il y a souvent clivage de la figure maternelle. La bonne mère est, le plus souvent morte, et la belle-mère, ou seconde femme du mari, symbolise la mère qui mérite punition de sa méchanceté. Nicolas utilise-t-il une voie détournée, pour·exprimer sa colère et assouvir une vengeance contre sa mère, par le subterfuge d'un clivage mère-grand-mère? Le déplacement vers une "grand-mère" permet de s'attaquer à la partie uniquement maternelle de la mère, en sauvegardant le reste.

Est-il hasardeux ici de poser l'hypothèse d'une grande ambivalence du garçon à l'égard de la reconnaissance de la différence des sexes, différence qu'il affirme haut et fort en se proclamant garçon? Nicolas craint-il que son identité sexuelle soit provisoire, menacée? Cette hypothèse confirmerait les thèmes d'angoisse de castration évoqués à de nombreuses reprises dans ses histoires. Si la mort peut être factice, provisoire, le sexe masculin pourrait l'être aussi...Le prix à payer peut être lourd de vouloir garder pour soi l'amour de la mère, sans partage. La castration par la mère précède la castration par le père, affirme Jacques LACAN (1969-1970). L'angoisse de dévoration, peut être celle de la dévoration par la mère. C'est elle "le grand crocodile". Mais "le lion mange la queue du tigre"...