1-5- Nicolas met en scène l'énigme de la naissance, et ses théories sexuelles infantiles. "Une histoire en vrai".

Le signifiant "père-mari". Confusion des places, confusion des sexes et des générations. Les signifiants "tétons", "caca". La parole comme brèche symbolique dans la jouissance. C'est l'enfant qui fait son interprétation. La fonction conteneur de la rééducatrice accompagne l'enfant dans ses élaborations et acquiert le statut d'une fonction structurante. "Forçage symbolique": articuler des signifiants foisonnants, en "une histoire".

Nicolas est en grande section d'école maternelle à présent. Son élocution s'est sensiblement améliorée et les parents l'ont remarqué, bien que la dysharmonie entre le niveau de vocabulaire et la construction des phrases soit toujours présente. Ils rapportent également que leur fils pose beaucoup de questions, a envie de savoir, de comprendre. La mère exprime ses difficultés à donner et à maintenir des limites avec Nicolas. Elle dira, au cours de cette même rencontre, à propos de la soeur: "Il l'aime, mais la serre trop fort et crie exprès pour l'empêcher de dormir." Et elle ajoute qu'il lui répète: "Heureusement qu'elle est là, et moi aussi!"

On peut émettre l'hypothèse, compte-tenu de ce qu'il met en scène, qu'il tente sans doute de se rassurer sur sa propre existence et le désir de sa mère à son endroit, mais également peut-être de conjurer ses désirs agressifs envers sa soeur.

Lors de nos rencontres, qui reprennent comme prévu, il réclame les petits animaux et poursuit ses mises en scène.

C'est notre 9 ème rencontre (24-10).

Nicolas dessine très rapidement un bonhomme: -"Il est mort. Les cheveux, il se les ai arrachés, parce qu'il voulait un homme...pour se mettre un pot de feutres sur les cheveux...le cou, la zézette, elle est dedans....c'est un garçon...les filles elles ont pas de zézette...Il a des poils ...ma soeur elle en a pas, parce qu'elle est pas grande, papa et maman, oui."

Nicolas colorie le visage du bonhomme en rouge. -"Il fait son caca. Il force...il devient comme ma soeur. Ma soeur, c'est tout simple....du violet, son pantalon il est tout violet...il s'est tout sali, comme un cochon."

Il manque une main à ce bonhomme. Comme je le lui fais remarquer, le garçon rétorque: "On peut pas, elle irait sur le point du i."

Il dessine ensuite sa sœur: - La petite, petite, elle fait son caca. Elle comprend rien encore. Regarde ma soeur. Elle est devenue tout sale sa figure...Et là, ma maman, du rouge à lèvres, ses mains...elle est devenue tout rouge. Elle fait son caca.

Il manque son père dans ce tableau familial, et je le lui fais remarquer. Il montre alors le premier personnage, "le bonhomme", et déclare: -"là"

Je lui demande où il se trouve, lui, et il répond qu'il est le papa de Marine et le mari de sa maman. Il complète alors le dessin qui représente sa mère: - Les tétons. plein de tétons là. 2,3,4, 6, 1...Elle a attrapé les boutons sur les tétons! C'est peut-être un moustique! Une toile d'araignée! parce que dans la toile d'araignée elle peut plus sortir.

Rééducatrice: - La maman?

Nicolas: - Non, l'araignée...La maman elle est malade, alors elle reste là, dans sa maison. Il faudra appeler le docteur. Ah, je fais le docteur. La voiture, le monsieur dedans. Il conduit. les roues...voilà...un bateau, là, sur le toit de la voiture. Regarde le docteur, il est dans la maison.

(Il joue les dialogues): - (le docteur):- Alors, vous avez quoi, madame?

(la maman):- J'ai des boutons.

(il s'adresse à moi):- Alors c'est trop facile. Regarde, c'est sa main, ça. Il va voir dans les boutons. Il va dans le corps. Il va tirer et il y aura plus de boutons.

(Nicolas ajoute des boutons partout): - Elle est pleine de boutons! Regarde! même Nicolas! même la soeur elle est malade. Même le cerf-volant! même la voiture! et le pot de feutres!

Dans l'échange qui suit, je pose l'interdit de l'inceste.

C'est la fin de la séance. Nicolas, très fier, me dit, et répète, en repartant: "Tu vois, j'ai réussi, j'ai trouvé! C'est une histoire en vrai."

Nicolas (2). La maman malade. "La maman elle est malade, alors elle reste là, dans sa maison. Il faudra appeler le docteur...Regarde, c'est sa main, ça. Il va voir dans les boutons. Il va dans le corps. Il va tirer et il y aura plus de boutons.

On assiste à une accentuation des caractères sexuels et de leur différenciation. Le "bonhomme" revendique ses caractères sexuels masculins: Il s'arrache même les cheveux pour qu'on ne le prenne pas pour une fille. "Il voulait un homme" ou bien "il voulait être un homme?" Qu'est-ce que cet homme, porteur d'une "zézette", qui "s'arrache les cheveux" pour qu'on ne le prenne pas pour une fille, qui se détruit et qui meurt? Mort ou absent, manquant?. Est-ce Nicolas ce bonhomme? Désir d'être un homme comme son père pour conquérir la mère? Certitude de ne pas "être à la hauteur" et développement d'un certain sentiment dépressif? Peur des représailles du père s'il réussissait? Le personnage masculin est ambigu. Le bonhomme devient ensuite le père, puis Nicolas "mari de maman, et père de Marine". Cette déclaration est suivie d'une phrase qui manifestement est un non-sens, (le pot de feutres), non-sens que Nicolas n'ignore pas, comme pour "noyer le poisson" ou pour atténuer l'émotion, ou encore pour se moquer de la rééducatrice. Les adultes ont des poils, alors que la soeur n'en a pas, parce qu'elle est trop petite. La mère a des "tétons" qui se multiplient. Nicolas sait qu'il y en a deux, mais son fantasme les lui fait multiplier, comme dans un rêve, en lien direct avec le complexe de sevrage, présent dans l'inconscient. Nicolas marque la mère d'un attribut sexuel ou plutôt de différenciation sociale des sexes et de séduction: le rouge à lèvres. Mon intervention, pose la loi symbolique de l'interdit de l'inceste , en posant la différence des générations, comme non sujette à discussion. Je la lui présente comme une loi à laquelle tout humain, dont moi-même, sommes soumis. ‘ "Si l'éducateur doit pouvoir reconnaître le désir pulsionnel de l'enfant et lui en permettre l'expression, il doit en même temps l'amener à supporter l'interdit de la loi. Interdit qui est symbolisé dans l'inconscient par le père interdicteur du corps de la mère. Et qui plus précocement est vécu dans le sevrage de l'amour fusionnel de la mère." ’ (MAUCO, 1975, p. 141).

Les enfants ont très souvent recours à une justification rationnelle lorsque, dans leurs dessins, un élément ou un personnage est manquant. C'est ce que fait Nicolas ici pour justifier la seule main du personnage "Nicolas-mari-père". "Il irait sur le "I" du signe". Ce signe, lui, se trouve situé en plein milieu de la scène, pouvant montrer que cette représentation est bien une figuration de la recherche de Nicolas par rapport à lui-même.(Dans sa classe, les enfants ont chacun un symbole constitué des deux premières lettres de leur prénom. Etre représenté par un symbole de négation, "ni", présente peut-être des inconvénients majeurs, pour un garçon qui ne trouve pas sa place dans la famille?...).

La rivalité à l'égard de la soeur est nettement exprimée. Celle-ci est trop petite pour comprendre, de ce fait, Nicolas est valorisé. Lui, il comprend.

Un mode de défense qui fait appel à des thèmes de l'ordre de l'analité, fait son apparition, et subsistera pendant toute une période. Salir les personnages de "caca", c'est aussi les détruire, exprimer son agressivité, son désir d'emprise, de maîtrise, sous une forme sadique-anale. La soeur est ainsi salie, puis la mère et les objets qui les entourent. Les excréments dégoûtants, "cochons", dégradants, sont bientôt remplacés par des boutons, signe de maladie, menace directe faite à la vie.

Le docteur qui vient soigner la mère nous conduit directement au fantasme du petit garçon qui explorerait l'intérieur du corps de la mère, et qui découvrirait ainsi peut-être l'énigme de la naissance, mettant ainsi en scène la question fondamentale qui s'impose à un moment donné à tout enfant: "D'où viennent les enfants?". La taille très réduite du "docteur" ne nous conduit-il pas sur la voie d'une représentation de Nicolas par lui-même, dans ses fantasmes les plus inconscients?Cette scène n'est peut-être pas sans rapport avec l'échographie dont Nicolas avait parlé au tout début de nos rencontres. Cette image d'échographie, qui ne ressort pas de l'imaginaire, a peut-être constitué, pour le garçon, un point de surgissement d'angoisse, comme lorsque du réel ne peut justement pas être imaginarisé. Il aura fallu du temps, si cette hypothèse est juste, pour que cette image prenne forme et soit intégrée à l'ensemble du mythe de Nicolas.

La scène de "caca" semble se transformer en représentation de l'accouchement par la même occasion. Par une approche progressive, le docteur est dans la voiture, puis dans la maison, et enfin dans le corps de la maman. "Dans la toile elle peut plus sortir". Le docteur "va tirer et après il y aura plus de boutons". Nous savons que les théories sexuelles infantiles assimilent fréquemment les selles au bébé et, dans un temps, ne réservent pas forcément la possibilité de l'enfantement à la seule mère. Cependant, ici, seul le ventre de la mère est exploré. De par son ignorance de l'existence du vagin, le jeune enfant, lorsqu'il sait que l'enfant est dans le ventre de la mère, ne peut comprendre par où il en sort. Il résout ainsi la question: ‘ "L'enfant doit être évacué comme un excrément, une selle"(FREUD, 1907-1931).Nicolas semble développer ici une théorie de cet ordre. Il entoure ses dires de quelques non-sens (reprise de la boîte de feutres, du cerf-volant...), sans doute dans le même esprit que précédemment.

Il est très satisfait de sa séance, de son histoire. "J'ai réussi, j'ai trouvé!" Et il ajoute: "C'est une histoire en vrai." C'est l'enfant qui fait son interprétation.

Nicolas termine la rencontre suivante en dessinant un crocodile, et il me dira tout à coup, s'impliquant subjectivement: "...Il est beau mon crocodile, hein?...Tu sais, le frère du crocodile, il languit de sa maman..." Ainsi, le crocodile, c'est aussi la sœur. "Soeur-crocodile" qui accapare, "dévore" le temps de la mère, "soeur-crocodile" dont Nicolas est le frère?

Nicolas (3). Le crocodile. "Tu sais, le frère du crocodile, il languit de sa maman."

Je reconnais avoir exercé une sorte de "forçage symbolique", tant du côté de mon exigence d'une parole, de sa part, qui soit un discours inscrit dans un échange, que du côté, en fin de séance, d'une "mise en ordre" de signifiants quelquefois proliférants. J'ai posé l'hypothèse que la fonction conteneur , se manifestant par cette recherche d'articulation entre des signifiants , si elle parvenait à construire "des histoires", l'aiderait à les articuler lui-même dans sa pensée . Nicolas apprécie de plus en plus le renvoi que je fais de son histoire en fin de séance. Il m'interroge: "Elle est bien, notre histoire, hein?". Dans le transfert, la rééducatrice est non seulement l'oreille et les yeux attentifs, elle est aussi considérée comme l'interlocutrice qui est directement concernée par l'histoire, qui peut s'en émouvoir, qui peut s'inquiéter, s'angoisser, comme l'enfant. Nicolas accepte mon renvoi de son histoire, ou la rectifie, puis renchérit, prolonge. A la fin de la séance, il jubile. Ainsi, à la fonction contenante et à la fonction conteneur de la rééducatrice, peut se conjuguer une fonction structurante du cadre pour Nicolas. La parole acquiert une fonction symbolique de coupure de la jouissance.

"Non seulement le petit enfant imagine qu'il mange l'objet, mais il désire aussi prendre possession du contenu de celui-ci", avanceWINNICOTT en décrivant les pulsions agressives du jeune enfant envers sa mère (1965, p. 35). Nous avons vu Nicolas vouloir "prendre possession" du contenu du ventre maternel. Le registre du cannibalisme n'est pas absent.