1-6- Dévoration de la mère. On attaque les "petits". Apparition d'un père. Emergence de thèmes oedipiens. Nicolas met en scène des identifications qui s'opposent, et symbolise ainsi la division de tout sujet.

Deux signifiants identificatoires, construction du "moi idéal": le tigre et le lion. "Le tigre attaque, mais le lion est le plus fort". Une mère encore toute-puissante. Une question de place, pour Nicolas. Comment se (re)trouver dans cette nouvelle structure de la famille? Une identification au père est-elle possible? Il est tour à tour "le tigre méchant", et "l'oiseau sauveur".

Les thèmes autour de l'oralité et de la dévoration, sont repris et accentués. "Un tigre voulait manger les mamelles de la "maman vache". Cependant, cette fois, le "papa vache" viendra défendre la maman, et tuer le tigre. Mais il se fera tuer à son tour par le lion, révélant ainsi qu'il n'est pas le plus fort. C'est la "maman vache" qui fera fuir le lion en fin de compte, ...par "une gifle"!...

La "maman vache" devient le symbole de la maternité dans les histoires de Nicolas. C'était à prévoir, puisqu'elle donne le lait. C'est une mère encore toute-puissante. Si la mère doit être partagée, elle devient un objet que l'on désire à la fois retrouver, car on l'a perdu, et détruire, et ce d'autant plus, qu'on pense qu'un autre l'a. Le tigre s'était attaqué d'abord à ce qu'on pourrait considérer comme un substitut maternel, la grand-mère. A présent, sa victime est la mère elle-même, en tant qu'agent de la frustration, et l'objet précis du manque imaginaire: les mamelles, le sein. "Objet a", selon le concept lacanien, objet de la pulsion orale, objet perdu, objet cause du désir. Selon WINNICOTT (1965), le développement affectif issu de la relation fusionnelle à la mère, a comme aboutissement, la capacité d'ambivalence, ou ‘ "expérience simultanée de l'amour et de la haine" ’ (p. 34), dans un amour qui implique le destruction. La capacité d'amour primitive s'exprime avec sa cruauté et sa destructivité. Cet amour allie ‘ "le vécu érotique et agressif dans une relation avec un objet unique"(id., p. 33). Amour et haine se conjuguent, contre une ‘ "mère-objet qui "devient la cible de l'excitation vécue, sous-tendue par la pulsion instinctuelle brute"(ibid., p. 34)."il faut trouver la mère-objet pour survivre aux épisodes dirigés par l'instinct ’ ‘ (lorsqu'ils) ’ ‘ ont acquis toute la force des fantasmes du sadisme anal et des autres conséquences de la fusion"(ibid., p. 35). Une bonne image objectale doit cependant pouvoir être maintenue, qui puisse survivre à ces attaques. Elle est soutenue par la fonction de la mère, "mère environnement" qui continue à être heureuse, à pouvoir recevoir les manifestations d'affection, et qui peut être empathique à l'égard de son enfant.

Le "papa-vache" n'a pas réussi à défendre la maman contre le tigre qui veut manger ses mamelles. Il a fallu l'intervention du lion, mais en fin de compte la maman s'est défendue toute seule. Il pourrait s'agir ici d'un appel au père et d'une déception exprimée vis à vis de l'impuissance de celui-ci à le défendre, à l'école d'une part, à lui apporter son aide quant aux impasses dans lesquelles Nicolas se débat vis à vis d'une mère encore toute-puissante, et de sa sœur, d'autre part. Comment Nicolas peut-il trouver sa place dans la nouvelle structure familiale, question exprimée peut-être par l'impossibilité dans laquelle il se trouve actuellement de se dessiner ? (Lorsque je lui demande de le faire, à plusieurs reprises, seul ou avec sa famille, "Il n'a plus le temps et doit retourner en classe", ou bien "Il n'y a plus de place sur la feuille..."

Le 21-11 , reprenant les mêmes figurines truie et porcelets, qui avaient été "un papa et le frère", il dira: "Une maman fait téter ses petits. Ils ont pleuré parce qu'ils ont faim les pauvres. Ils sont trop petits pour manger tout seuls." Nicolas fait alors parler "un bébé cochon": "Moi, je suis petit, il faut pas me faire de mal." Il ajoute alors: "C'est le tigre dangereux qui va faire du mal." Plusieurs "papas" ("papa-biquette", deux "papas-chiens") défendront "les bébés" et sortiront vainqueurs. "C'est le papa qui a gagné!", s'écrit-il. Lorsque je lui fais remarquer: "Heureusement que les papas sont là pour défendre les bébés", il poursuit: - " Il faut qu'ils grandissent, comme les papas".

Très souvent, Nicolas répétera qu'il ne faut pas faire de mal aux petits parce qu'ils ne peuvent pas se défendre. Les petits, c'est lui, qui se plaint de ceux qui l'attaquent à l'école, et en particulier "les grandes filles". C'est aussi et surtout sa soeur dont il répète: "Elle est trop petite, elle ne comprend pas". Cependant, si les petits sont encore trop faibles pour se défendre, "ils grandiront, et deviendront aussi forts que des papas". Un processus d'identification au père semble pouvoir être entrevu.

Le tigre transgressera donc l'interdit de "faire du mal aux petits". Il est encore celui qui attaque. Cependant, il en est puni, car le lion, plus fort, lui a mangé la queue, un jour. Le tigre, c'est aussi Nicolas. Une projection, un déplacement des pulsions agressives de Nicolas, s'effectuent sur le tigre. "L'oiseau" dont Nicolas avait déclaré dès nos premières rencontres que c'était lui, vient délivrer les personnages "coincés", ou bien tente de défendre les autres. Une dualité identificatoire, dans un registre de "moi idéal" appartenant aux processus primaires, apparaît ainsi, dans un clivage caractéristique du registre phallique. C'est aussi une approche par Nicolas de ce que pourra être sa division de sujet.