1-8- Appel au père. Dans le transfert, Nicolas peut prendre la responsabilité de "réparer", et construit son implication dans son histoire. "Maintenant, je suis grand".

Les signifiants "rocher", "fantôme", "serpent", "avion". Et si le père est carent, défaillant? Affirmation de thèmes phalliques. Opposition faible/fort, actif/passif. Symbolisation du réel du corps. Nicolas fait intervenir la rééducatrice dans ses jeux. Dans le transfert, il affirme une capacité de maîtrise sur le monde, dans un registre phallique. Fonction de "mère-environnement" de la rééducatrice.

C'est notre 13 ème rencontre.

Nicolas utilise la pâte à modeler pour créer des personnages. C'est un "père-rocher qui se croit solide, mais en réalité il n'est pas solide". Le petit rocher se désole de voir son père tout cassé, ‘ "Moi je restera tout seul!" ’ (ad litt.), et réclame un père solide. Il imagine alors un dialogue:

- Pourquoi vous avez cassé le père?

- Parce qu'il y avait la guerre.

Il fabrique ensuite "un fantôme" avec un cube de pâte à modeler dans lequel il creuse des yeux et une bouche à l'aide d'un crayon.

Ce "fantôme" et le jeu instauré à partir de celui-ci sera repris de séance en séance à partir de ce jour, avec des variations. Le fantôme, tenu par Nicolas, vient m'attaquer.

N: - Ah!Ah!Ah! je suis un fantôme! (grosse voix)

J: - J'ai peur! qui va me protéger?

Nicolas modèle alors un serpent qui vient me défendre, lutte contre le fantôme et le domine régulièrement.

N: -"Reviens jamais de la vie! hé, hé, hé, embêter les dames! Et le serpent il va dormir ici ...sur son arbre, ce soir.

(Nicolas fait parler le plus petit serpent): - Quand je serai grand, je vais casser le noir (rocher).

Nicolas déclare alors qu'il "commence à avoir envie de faire pipi" et il part aux toilettes.

Le fantôme revient. Le serpent défend l'arbre. Nicolas explique: - Il était tout en boule et il voulait se transformer en avion. Il était tout droit, comme ça d'abord. Et après il a volé. Le ventre du monsieur il était dans l'avion.

En fin de cette séance, Nicolas déclare: - Plus besoin que tu m'accompagnes, parce que maintenant je suis grand. Quand j'étais chez Y..., j'étais petit, tu avais besoin que tu m'accompagnes. (ad litt.)

Lors des séances suivantes, alors que le jeu est répété systématiquement, Nicolas ajoutera un deuxième serpent pour venir à mon secours, le premier s'étant révélé trop faible. Je me cache derrière un carton et Nicolas se réjouit de "me faire peur".

Le fantôme est un signifiant en lien avec l'au-delà de la mort, l'au-delà de la vie. Nicolas a subi une déception fondamentale: celle de ne pas être l'unique objet de sa mère. Il a une sœur. Dans sa recherche de solution, il appelle le père. Mais le père n'est pas tout puissant. Il ne l'est jamais, de structure. Cette découverte est source d'angoisse pour l'enfant. Le père de Nicolas, dans la réalité, ne rentre qu'en fin de semaine et se refuse "à faire la loi", préférant être copain avec son fils. La fonction de coupure entre la mère et le garçon, du fait de la "métaphore paternelle", risque d'être insuffisante. Lorsque le père n'est pas là, Nicolas dort avec sa mère. Il n'y a pas suffisamment de différence, de ce fait, entre les places et les générations.Cette carence du père n'est-elle pas une source de difficulté supplémentaire pour le garçon pour accéder à la castration oedipienne, à la loi de l'interdit de l'inceste, au symbolique? Quand le père n'est pas solide, l'enfant risque de se retrouver tout seul, démuni, vulnérable. Mais le serpent va être plus fort que le fantôme. A l'opposition "solide"/ "pas solide", qui est un mode passif, de celui qui subit les coups, répond l'opposition "fort"/"pas fort" qui est un mode actif, ces deux modes ressortissant d'un registre phallique.

Nicolas (5). Le serpent et le fantôme.
Nicolas (5). Le serpent et le fantôme.
Nicolas (6). Transformations.
Nicolas (6). Transformations.

Il semblerait que Nicolas a ressenti, en jouant, une excitation sexuelle qui l'entraîne à "avoir envie de faire pipi", puis à représenter, symboliser, quelque chose du réel de son corps, qui est la transformation d'un "serpent en boule" en "un avion" qui présente une forme très phallique. Le monsieur "protège son ventre". Cette manifestation physiologique confirme bien l'origine pulsionnelle de ce qui est joué.

On peut faire l'hypothèse que mon intervention sur le cadre, en supprimant provisoirement les petits animaux du matériel, a déclenché une certaine agressivité de Nicolas contre moi. Dans le transfert, Nicolas se réjouit de me faire vivre ses peurs, en tenant le rôle du fantôme, de celui qui fait peur, donc de celui qui a la puissance. En même temps, il est le "sauveur", il protège, répare. Il a donc la puissance des deux côtés. Je choisis de rester dans un rôle passif. Je suis attaquée, j'appelle à l'aide "plus fort" que moi, comme lui lorsqu'il se fait frapper par "les grandes filles", ce dont il se plaint encore souvent. Nicolas exprime son agressivité, qu'il déplace sur moi, et reprend ainsi une certaine maîtrise de la situation en me faisant jouer dans le transfert celle qu'il peut attaquer et protéger, passant d'une position passive de celui qui se fait attaquer à une position active. Il exprime également par cette occasion l'ambivalence de tout amour, comme celui qu'il porte envers sa mère, ou sa soeur. Ce jeu amour-haine envers moi, lui procure sans doute moins de culpabilité que lorsqu'il met en scène ses sentiments agressifs envers sa mère ou sa sœur. Je peux jouer une fonction provisoire de "mère-environnement".

Il nous semble pouvoir retrouver ici une illustration de ce que WINNICOTT (1965, p. 36), décrit de la construction de la ‘ "capacité de sollicitude" ’ de l'enfant. Dévorer sa mère, comme Nicolas a pu le représenter dans ses mises en scène, c'est aussi la perdre, et la menace de cette perte, est accompagnée d'angoisse. Lorsque le petit enfant a pu acquérir la certitude qu'il pourra réparer (grâce à la permanence de la mère ou de son substitut), qu'il pourra lui-même apporter quelque chose à la mère, l'angoisse peut dès lors être transformée en une culpabilité latente, potentielle. Cette culpabilité n'émergera qu'en l'absence des possibilités de réparation. WINNICOTT souligne, que, par la même occasion, l'enfant "est maintenant capable de se sentir de plus en plus impliqué, d'endosser la responsabilité de ses propres pulsions instinctuelles et des fonctions qui sont de leur ressort. Cela fournit l'un des éléments constructifs et fondamentaux du jeu et du travail." ’ (id., p. 36). WINNICOTT précise que ce mécanisme psychique, cet équilibre, doivent être retrouvés, réajustés sans cesse, tout au long de la vie.

Il est remarquable que cette séance se termine par l'affirmation, de la part de Nicolas, qu'il est grand à présent .