1-13- La tête qui "coince". Une deuxième valeur pour un signifiant, et "une clef" pour une énigme...

La rencontre du réel et de l'imaginaire est source d'angoisse. L'énigme de la naissance et de la mort, et la question du sujet. Premiers pas vers une position de "sujet séparé".

La semaine suivante (26-03), Nicolas reprend alors un thème abandonné depuis longtemps: les animaux, réutilisés, se coincent la tête de diverses manières, dans l'abreuvoir, dans la barrière.

Ce jour-là, Nicolas "encage" des tigres.

N:- ça, c'est le papa. Le bébé du papa. Un garçon...ça, c'est la maman. Le bébé de la maman. Une fille.

Ils ont un abreuvoir pour deux. Ils se coincent la tête.

En fin d'histoire, je lui demande si cela se passe dans la réalité, comme dans cette histoire: le papa a un bébé garçon et la maman a un bébé fille?

N: - Non, ma maman a un garçon et une fille.

J: - Sais-tu d'où viennent les bébés?

N: - Dans le ventre des mamans.

Je lui demande s'il sait quelque chose de sa naissance.

N: Je gigotais partout... Je m'étouffais . J'étais tout en haut. J'arrivais pas, j'étais coincé . C'est un monsieur de la maternité. On a coupé un peu et après on a recousu. Ma soeur elle était tout en bas. On a coupé un peu le ventre et après on a recousu. Ma maman m'a montré.

Nicolas sait quelque chose de sa naissance. Il en connaît même des détails. Il était "coincé". Ceci m'éclaire tout à coup sur un sens au moins de cette répétition de mise en scène, dans laquelle les personnages étaient coincés, qui ne correspond pas à la seule hypothèse de l'angoisse de castration, même si, comme dans le processus du rêve, elle condense les deux significations. On peut se demander dans quelle mesure Nicolas était prêt à recevoir certaines de ces informations, de la part de sa mère, en particulier celle de pouvoir supposer qu'il aurait pu mourir coincé, étouffé, au moment de naître. Un autre "détail" prend sens à ce moment-là pour moi. Nicolas a évoqué, à plusieurs reprises, la présence de "glaires" qui l'empêchent de respirer, "l'étouffent" parfois, le soir avant de s'endormir. N'est-ce pas une incursion du "réel" au sens lacanien, de quelque chose que Nicolas n'aurait pu symboliser et qu'il a répété tout au long de ses histoires dans une tentative de trouver une issue, une réponse à cette dualité naissance/mort? Ce thème répété "à qui saura l'entendre", n'est-ce pas l'expression de sa difficulté à sortir d'une collusion entre des images d'étouffement et la réalité de ses difficultés respiratoires actuelles, qui, sans doute, l'angoissent? Nicolas est d'accord pour que nous parlions de sa naissance avec sa mère, quand je la rencontrerai.

Lorsque le 24 mai , je rencontre les parents, je demande à la maman de parler de la naissance de Nicolas. "Cela n'a pas été facile. Au dernier moment, il a fallu faire une césarienne. Il était coincé , le nez en haut, il étouffait .", déclare-t-elle. J'évoque les dires de Nicolas dans les mêmes termes. La maman est très surprise, pensant ne jamais en avoir parlé à son fils, mais elle reconnaît qu'elle a pu cependant en parler en sa présence. Les parents rapportent alors que la mort angoisse Nicolas depuis quelque temps. "Qu'est-ce que tu feras quand je serai mort?" "Tu serais bien contente si je serais mort", dit-il à sa mère. Vis à vis de son père, il fait des projets: "Quand tu seras mort, je..."

Ces nouveaux éléments apportés par Nicolas, nous permettent de mieux comprendre ce qu'il jouait également dans les premières mises en scène concernant la demande de lait. Si nous nous référons à nouveau à Jacques LACAN et à sa conceptualisation du ‘ "complexe de sevrage" ’, nous pouvons constater qu'il y est question, dans ce refus du sevrage, d'une réminiscence d'une angoisse beaucoup plus fondamentale, qui serait liée à un sevrage plus ancien, celui de la naissance, ‘ "que nul soin maternel ne peut compenser" ’ (1938, p. 31). Serait contenue dans le complexe, ‘ "la hantise du paradis perdu avant la naissance et de la plus obscure aspiration à la mort". (id. p. 35). Cette réminiscence se voit renforcée par ‘ "le complexe d'intrusion". L'image du frère non sevré n'attire une agression spéciale que parce qu'elle répète dans le sujet l'imago de la situation maternelle et avec elle le désir de la mort."(ibid. p. 41).

Nicolas pose ainsi la question fondamentale de l'enfant qui construit sa position de "sujet séparé": "Que ferait l'autre si je mourais?" . Il offre en même temps le fantasme de sa propre mort, de sa propre disparition, au désir parental.