1-17- Remarques conclusives sur le processus rééducatif de Nicolas.

Si la construction de "la capacité de sollicitude" appartient à la relation duelle avec la mère, nous avons pu voir Nicolas la re-jouer, la re-prendre, si ce n'est pour la construire, du moins peut-être pour la consolider, au sein de la relation rééducative. La naissance de sa sœur, tout le bouleversement psychique qui lui a fait suite, avait suffisamment ébranlé les bases des constructions antérieures pour que celles-ci soient à élaborer à nouveau. Il a pu, dans un premier temps, exprimer des pulsions destructrices chargées d'angoisse, dirigées d'abord vers des objets. Une relation "suffisamment bonne", grâce à une "rééducatrice-environnement", pour paraphraser WINNICOTT‘ , "suffisamment contenante et conteneur", lui a permis de les diriger, dans le transfert, sur la rééducatrice. Les possibilités de "réparation", au sein même de ses jeux, dans ses mises en scène, lui a permis de contenir cette angoisse, de la transformer, de l'élaborer, en un sentiment de culpabilité, qui n'était supportable que parce des occasions de réparation répétées lui étaient offertes, dans l'expression de la ‘ "capacité de sollicitude". "L'absence de réparation conduit à une perte de la capacité de sollicitude: elle est remplacée par des formes primitives de culpabilité et d'angoisse." ’ (WINNICOTT, 1965, p. 42).

"Les complexes se sont démontrés comme jouant le rôle d'organisateurs dans le développement psychique." (LACAN, 1938, p. 24). Sublimation, dépassement: un tâtonnement expérimental.

Nous avons cru pouvoir retrouver, dans ce que Nicolas a joué en rééducation, des mises en scène qui pouvaient ressortir du "complexe de sevrage" et du "complexe d'intrusion". Nous avons pu le suivre dans ses tentatives pour trouver une issue à ce qui encombrait sa pensée, et ne le rendait pas disponible pour devenir élève et écolier. ‘ "Si le moi se constitue en même temps que l'autrui dans le drame de la jalousie", l'issue de cette situation ‘ "implique l'introduction d'un tiers objet qui, à la confusion affective, comme à l'ambiguïté spectaculaire ’ ‘ (de la relation du miroir) ’ ‘ substitue la concurrence d'une relation triangulaire."(LACAN, id., p. 46). Une alternative s'offre à l'enfant: ou bien il s'accroche au refus de ce sevrage et cherche à retrouver l'objet maternel, tout en continuant à vouloir la destruction de l'autre. Ou bien il accepte de sublimer ses pulsions et d'investir l'énergie ainsi libérée sur d'autres objets, communicables et culturels.

Nous sommes tentés, en suivant ce "tâtonnement expérimental" de Nicolas, au sein de la relation rééducative, de lui appliquer cette citation de Jacques LACAN, extraite des ‘ "Complexes familiaux"(ibid., p. 40-41): ‘ "On reconnaîtra...le moment dialectique où le sujet assume par ses premiers actes de jeu la reproduction de son malaise même et, par là, le sublime et le surmonte."

La citation choisie comme exergue de ce chapitre insiste sur l'importance de l'environnement dans les processus de maturation del'enfant. Comment WINNICOTT définit-il cette "maturation"? Il s'agit de"l'évolution du moi et du "self" et comprend toute l'histoire du ça, des instincts et des vicissitudes, ainsi que les défenses du moi par rapport à l'instinct." ’ (WINNICOTT, 1965, ed. 1974, p. 45).

Quel parcours Nicolas a-t-il suivi, pendant son processus rééducatif?

  • "Il faudrait peut-être se rappeler que tout ce qui sort du corps et tout ce qui y pénètre, est ce qui permet à l'enfant de se construire." 615
  • De l'expression des pulsions à leur sublimation.
  • Le mythe, comme réponse à la question du sujet sur sa propre existence.

Dans la théorie psychanalytique, la pulsion est porteuse de l'énergie fondamentale du sujet. ‘ "Nous pouvons donc conclure que ce sont elles, les pulsions, et non pas les incitations externes, qui sont les véritables moteurs des progrès qui ont porté le système nerveux avec toutes ses possibilités illimitées, au degré actuel de son développement." ’ (FREUD, 1915, p. 16). Le premier "sort" de la pulsion en est la décharge, la satisfaction ou l'apaisement de la tension. Lorsque la pulsion ne peut se satisfaire, FREUD propose cinq "destins" à la pulsion: ce sont le refoulement, responsable de la formation des symptômes; la sublimation, le retournement dans le contraire, le retournement sur la personne propre, et le passage de l'activité à la passivité. Jacques LACAN insiste sur l'impossibilité de la pulsion à se satisfaire, par le fait que l'objet pulsionnel n'est jamais à la hauteur des attentes. François LEGUIL (1993-1994) écrit: ‘ "La pulsion est un mythe, en tant qu'elle renvoie à un réel ...qui fait le désir, en reproduisant la relation du sujet à l'objet perdu...Ce n'est pas un accident d'éducation, mais un drame d'essence, que le désir vient de l'Autre... "(p. 24). ‘ "La pulsion divise le sujet et le désir" ’ (p. 25). Ce sujet, est constamment perdu entre ‘ "suis-je sujet?", "suis-je objet?", "suis-je actif?" "suis-je passif?" ’ (id., p. 17). "Suis-je vivant ou suis-je mort?" "Suis-je garçon, ou suis-je fille?". Toutes ces questions, le sujet se les pose sur son être. Il se met en question. ‘ "C'est ce moment limite, où le sujet fait l'épreuve de son rapport à l'Autre, qui est un rapport à la demande, comme informulable." ’ (p. 23). ‘ "Elle intervient quand le sujet est dans la détresse: le sujet qui, dans le signifiant, fait l'épreuve du manque de mot, ...et la nécessité d'en passer par l'Autre..." ’ (ibid.).

FREUD décrit ce recours à l'Autre: ‘ "ses besoins pressants sont satisfaits par l'intervention de l'extérieur, et ainsi préservés de tout développement."(FREUD, 1915, note, p. 36). Jacques LACAN a articulé la pulsion et le transfert. La demande du sujet se répète inconsciemment à travers la pulsion et le fantasme.

La question va être: "Comment l'enfant va-t-il sortir de la jouissance attachée à la pulsion?" Le fantasme permet au sujet de se défendre de la pulsion, d'apporter quelque chose d'humain, de reposant, dans la pulsion acéphale et inhumaine. Si ‘ "le fantasme n'est absolument pas l'expression psychique de la pulsion", il va servir à "couvrir la vérité de la pulsion, la vérité de la béance." ’ (LEGUIL, 1993-1994, p. 22). Le langage et le fantasme ont des effets de mortification sur la jouissance.... "la création mythique répond à une question. (Elle) parcourt le cercle complet de ce qui se présente à la fois comme ouverture possible et comme ouverture impossible à prendre. Le circuit étant accompli, quelque chose est réalisé, qui signifie que le sujet s'est mis au niveau de la question." ’ (LACAN, 1956-1957, p. 330). Cette opération de remaniement ou de restructuration qu'est le mythe individuel, peut être opérante d'une façon autonome pour le sujet.

Il semble que la construction de son mythe individuel a pu être opérant pour Nicolas, et lui apporter des réponses suffisantes pour qu'il puisse poursuivre sa route. Nous l'avons vu tâtonner, prendre et reprendre les signifiants, les tordre, les mettre en jeu, les réajuster. Les questions concernant les énigmes de la naissance, de la mort, du rapport sexuel, de la différence des sexes, les questions se rapportant à sa place dans la famille, à la fonction paternelle, à la séparation, à la castration, sont apparues progressivement et se sont répétées ensuite, sous des habillages différents, coexistant parallèlement, puis s'articulant entre elles, constituant en quelque sorte l'ossature du travail de construction mythique de Nicolas, tout au long de son processus rééducatif. Nous l'avons suivi alors qu'il offrait sa propre mort comme enjeu de sa possible séparation du monde maternel, et nous l'avons vu s'intéresser à des médiations échangeables, communicables, culturelles .

L'apport complémentaire du petit groupe.

Au moment où il a été proposé, le petit groupe de pairs s'est révélé avoir des effets stimulants pour Nicolas. Nous sommes convaincue qu'il n'aurait pas été pertinent de lui proposer cette forme d'échanges plus tôt dans son processus rééducatif. Il y avait trop de pulsionnel, trop de confusion dans sa pensée, trop de conflictuel uniquement interne, qu'il devait d'abord "déblayer" et élaborer, auparavant. L'échange, la confrontation avec les autres enfants ensuite, a pu faire l'effet d'ouverture qui en était attendu.

Comme nous l'avons fait à la suite des analyses des différents moments rééducatifs rapportés dans ce chapitre, nous proposons de réunir et de réorganiser, dans un tableau de synthèse, en page suivante, ce qui pourrait caractériser le processus rééducatif de Nicolas , dans ses effets, en l'articulant avec les propositions qui lui ont été faites par la rééducatrice. Des éléments complémentaires devraient apparaître, en réponse à la question: "Qu'est-ce qui est rééducatif?"

Tableau de synthèse : Ce qui semble "avoir été rééducatif" dans le processus de Nicolas...
"Effets" sur le processus rééducatif de l'enfant, et "effets" du processus sur le développement de cet enfant. Propositions qui semblent "avoir été rééducatives".
Expression des complexes (sevrage, intrusion.)
Expression pulsionnelle, destructrice et chargée d'angoisse
Pose les questions:
- l'énigme de la mort
- l'angoisse de castration
- l'énigme de la naissance
Fait la différence entre réalité et imaginaire
Brèche dans la pulsion
Adresse une parole qui devient échange, communication. La rééducatrice est interlocutrice.

"TATONNEMENT EXPERIMENTAL" AU SEIN DE LA RELATION. DE SIGNIFIANT EN SIGNIFIANT, L'ENFANT CONSTRUIT SON "MYTHE INDIVIDUEL".

Dans le transfert , l'expression pulsionnelle
est jouée sur la rééducatrice, au sein de la relation .
Intériorise la fonction conteneur de la rééducatrice -> devient fonction structurante.
La parole acquiert sa fonction symbolique de coupure de la jouissance.
Y trouve du plaisir. Jubile.
"Explosion" pulsionnelle et réarticulation, réorganisation.
Construit, réajuste ses théories sexuelles infantiles.
Recherches identificatoires (moi idéal)
Approche de la division du sujet.
Appel au père.
Prend une position active. Affirmation phallique. Expression de la pulsion de maîtrise.
symbolise le réel du corps.
Peut "réparer" la mère.

Construit:
- sa capacité de sollicitude.
- sa capacité de maîtrise sur le monde.
- la responsabilité et la maîtrise de ses pulsions.
Construit le temps de son processus rééducatif (fait le lien entre les séances).
accepte ses limites, sa castration symbolique.
Identification (secondaire) au père.
Symbolise sa division de sujet.
Joue et offre sa propre mort. Commence à "se séparer".
Symbolisation de la séparation d'avec le monde maternel.
Sublimation, dépassement, énergie libérée, disponible.
Ouverture vers le culturel échangeable, partageable, communicable.
Rééducatrice appelée comme témoin, comme adresse : regard, oreille, présence.
Relation "suffisamment bonne"
fonction contenante

Reprise des "histoires" par la rééducatrice en fin des séances. Fonction conteneur . Recherche d'articulation entre des signifiants épars, débordants, etc...

castration symbolique posées par le cadre: les limites temporelles

castration symbolique orale par le cadre
bouche qui mange -> bouche parlante

castration symbolique par resserrement des règles de fonctionnement des séances.

La rééducatrice est partenaire symbolique du jeu (peut partager l'émotion, l'inquiétude, l'angoisse)

Interventions référées au symbolique, à la Loi.
Pose l'interdit de l'inceste , la non confusion des sexes et des générations.

Interventions référées au principe de réalité .

rôle "passif" de la rééducatrice

Fonction provisoire de "mère-environnement"

Une médiation complémentaire: proposition etmise en œuvre de "conflits socio-symbolico-imaginatifs" au sein d'un petit groupe.

Pour d'autres enfants, c'est la relation avec le rééducateur, au sein du jeu, qui constitue la principale médiation qui permet que s'élabore, que se réajuste, ce qui permettra à l'enfant de reconstruire son mythe individuel, sa névrose infantile, ses modes de relation aux autres, aux objets et à soi-même. C'est ce que peuvent illustrer des moments du processus rééducatif d'Angélique.

Notes
615.

C'est ce qu'avançait à Lyon François LEGUIL (1993- 1994). Intervention du 26-03-1994.