"C'est Jésus qui décide, quand la maman a été sage."

Lors de la rencontre suivante, elle se remémore l'histoire, en rappelle les termes. Puis elle ajoute: "Mais il y a des dames qui mangent pas beaucoup et qui ont un bébé... alors, je sais pas...c'est Jésus qui décide, quand la maman a été sage."

Angélique semble passer, dans le jeu, à une interrogation sur le "savoir", mais bute sur des impasses. Dans ses scénarios, il semblerait que le père, elle n'en veuille rien savoir. Qu'en est-il de ce père, dans la réalité? Deux hypothèses opposées s'offrent à notre compréhension.

  1. Le père est "inexistant", soit dans la réalité, soit dans le fantasme de la fillette, et celle-ci s'enferme dans la recherche d'une relation symbiotique avec sa mère;
  2. Le père est tellement important pour elle, qu'elle ne peut pas en parler, ni même y penser, car le danger est trop grand.
Angélique (2). La maman enceinte.
Angélique (2). La maman enceinte.

Cette deuxième hypothèse supposerait qu'elle est complètement immergée dans une problématique oedipienne, et qu'un refoulement intense s'exerce, par lequel elle tenterait de se protéger de désirs interdits. Dans l'Oedipe, la fille doit en quelque sorte abandonner la mère pour se tourner vers son père. Ce changement d'objet s'accompagne de culpabilité à l'égard de la mère. C'est peut-être ce qui rend encore plus conflictuelles les mises en scène qui tournent autour des relations mère-fille. De ce fait, l'agressivité envers la mère apparaît première, et recouvre les tendances libidinales envers le père. Un autre argument plaide en faveur de cette hypothèse: faire mourir le père, c'est aussi une manière de s'en protéger. ‘ "Le désir que le père meure est à comprendre comme essai de mettre en fonction le père symbolique, le père mort."(SAURET, 1986, p. 110). La fillette parle très peu de son père, mais le peu qu'elle en a dit, a toujours été prononcé avec beaucoup d'émotion.

Je tente d'articuler ses fantasmes à sa "réalité" et lui parle de sa propre naissance, comme de son origine. Elle est issue d'un couple parental et de leur amour. Je parle à Angélique de la poche dans laquelle elle se trouvait, étant bébé, à l'intérieur du ventre de sa maman, et du cordon ombilical qui la reliait à elle, lui permettant de se nourrir et de respirer. Nous regardons ensemble sur un livre d'éducation sexuelle pour les enfants la manière dont se passe un accouchement. J'évoque le cas, possible, mais non général, de la césarienne, et l'incite à demander à sa mère comment s'est passée sa naissance à elle. Elle le fera et rapportera: "Je suis née comme tu as dit. Il a fallu couper le ventre de maman. Elle m'a montré la cicatrice. Le bébé va naître aussi comme cela ." Je me suis interrogée sur l'effet possible de la vision de cette cicatrice pour la fillette...Quoi qu'il en soit, Angélique est bien dans une étape de construction de sa propre histoire. L'information que je lui ai donnée concernant l'accouchement, la connaissance acquise ainsi, n'est qu'une mise en forme, une mise en mots, une reconnaissance culturelle, de ce qu'elle savait déjà. Renvoyer l'enfant à la parole de ses parents, d'autre part, permet à ceux-ci de ne pas se sentir dépossédés de quelque chose. C'est une place de médiateur, de facilitateur de la parole des parents, que le rééducateur peut tenter de tenir.

Cependant, même si je pensais nécessaire d'en dire quelque chose à la fillette, je supposais également que le livre d'éducation sexuelle adapté aux enfants de son âge, ne répondrait pas à toutes ses questions...S'il faut dire quelque chose à l'enfant de la vérité sur la vie, et s'il faut quelquefois prêter notre voix aux parents qui reconnaissent leur difficulté pour le dire, un discours sur la sexualité, sur la naissance, ou un cours d'éducation sexuelle, risquerait de casser la fantasmatisation nécessaire à l'enfant. Ses théories sexuelles, par exemple, sont ses propres réponses aux questions qu'il se pose sur le désir. Lorsqu'on l'a dit, s'il ne l'entend pas, c'est que quelque chose d'autre est en jeu dans sa question. Nous en avons évoqué un exemple avec Benoît, Angélique en apporte une autre illustration.