"J'étais un tout petit bébé".

Lors de la séance suivante, préoccupée d'aider Angélique à se situer dans la réalité de sa vie, et de prendre quelque distance par rapport à ses fantasmes, je refuse de jouer le scénario qu'elle propose, et je l'invite à se dessiner avec sa famille. Je souhaite également, par ma proposition , tenter de faire rupture dans la répétition de jeux mortifères dans laquelle elle semble s'enfermer. J'adopte ainsi, une fonction du "Nom- du- Père", ou de castration symbolique de l'imaginaire. Elle accepte de dessiner sa mère, faisant force commentaires: "Je lui fais les yeux bleus, parce que je préfère. La bouche rouge, et la robe, rouge aussi. Vous croyez qu'elle est belle? Tout le monde la trouvait belle. Elle avait tous les garçons, et après, elle a choisi mon papa. Je vais faire le soleil. Moi, je ne me fais pas, parce que j'étais pas née. Et je fais pas mon papa parce qu'il la connaissait pas." Je lui demande si, dans ce cas, elle représente sa mamancomme une jeune fille qu'elle sera bientôt. Elle change d'avis, et se décide à dessiner son père. Elle éprouvera cependant de grandes difficultés à le faire. Elle le décrit comme jeune, "costaud". Elle s'arrêtera au milieu, voudra abandonner. En fin de compte elle ira boire, avant depouvoir terminer ce portrait. Puis elle s'ajoute. "J'étais tout petit bébé. Je fais un berceau. J'étais là, regardez!".

Angélique manifeste ici toute l'ambivalence de sa relation à sa mère, recouvrant un mouvement d'identification et de rivalité par rapport à celle-ci. Elle insiste sur la beauté de sa mère, sur son pouvoir de séduction. Angélique est subjuguée par cette mère, et s'identifie au plus haut point à elle. Dans le même temps, elle aime cette mère et elle voudrait la tuer, lui ouvrir le ventre, pour éliminer une rivale. Mais ce désir hostile est inacceptable, et il doit être refoulé. D'où un conflit entre deux sentiments contradictoires, et de l'angoisse. Que la mère ne renonce pas à son désir de séduction sur les hommes, est une protection pour la petite fille qui veut séduire son père. Tant que la mère est là comme rivale, Angélique ne pourra pas obtenir l'objet de son désir. La fillette exprime son besoin d'une figure maternelle forte, qui peut la protéger et constituer pour elle un modèle.

Angélique (3). "Quand j'étais bébé..."
Angélique (3). "Quand j'étais bébé..."

S'est-elle décidée à dessiner le père, suite au rapprochement fait par la rééducatrice, entre sa mère "avant qu'elle connaisse le père", et son propre avenir de jeune fille? Pense-t-elle qu'elle pourra avoir le père, quand elle sera elle-même une jeune fille? Elle désire et a peur de cela. Aussi, elle se décide à dessiner le père aux côtés de sa mère, et ils ont en commun un enfant: elle-même. Elle se dessine en tout petit bébé. Cet état symbolise la relation à la mère caractérisée par une fixation orale. Elle ne veut pas renoncer à la dépendance à une mère symbiotique, pourvoyeuse de la nourriture, même dans une situation conflictuelle. Elle s'accroche à cette mère, alors que le moment est venu de se tourner vers l'extérieur, le monde social, via le père. Cependant, des angoisses accompagnent ce passage. Cette représentation d'elle-même en bébé peut symboliser également la nécessité ressentie d'une certaine régression à une époque "avant", pendant laquelle elle ne connaissait pas tous ces conflits, toutes ces angoisses. Cependant, le bébé, sur le dessin, est issu d'un père et d'une mère.