Rivalité avec la mère, et théorie sexuelle "divine". "Ma mère m'a mis un bébé dans le ventre".

La question du père, telle que je me la posais devant les refus réitérés d'Angélique à faire figurer "un père" dans ses jeux ou ses dessins, semble pouvoir trouver une réponse dans cette difficulté à le représenter. Il s'agit moins d'une ignorance du rôle du père dans la procréation, même si elle ne connaît pas exactement quel est ce rôle, que d'un refoulement vis à vis d'un savoir, concernant un père de la réalité qu'elle voudrait séduire, rivale en cela de sa mère. Y avait-il trop d'émotions, qu'elle a dû même s'interrompre pour aller boire? Cette hypothèse sera nettement confirmée par les jeux ultérieurs.

Dans un jeu de marionnettes, elle est la princesse "Blanche-Neige", qui précise "j'ai la même robe que ma mère", alors qu'elle a fait jouer le rôle de la reine à la même marionnette. Elle me présente son fiancé, et annonce qu'elle attend un bébé. Je lui demande, en tant que "spectateur actif", si elle et son fiancé sont heureux d'avoir fait ensemble un bébé.

Elle déclare alors: " Ah, mais non, j'ai déjà un bébé dans mon ventre. C'est ma mère qui a des pouvoirs et qui me l'a mis dans le ventre".

J: - Que dit votre fiancé?

A: - Je suis obligé de prendre le roi. Elle a pris mon amoureux!

C'est au début de ce jeu qu'Angélique me demandera pour la première fois (et non la dernière): "Tu marques ce que je dis? Ah, bien!". L'écrit de la rééducatrice fait désormais partie du processus rééducatif lui-même. L'importance de ce qui est écrit se confirme. Quelque chose, dans le fait que j'écrive ses histoires, rassure Angélique. Je constitue en quelque sorte "la mémoire" de son processus rééducatif, je me vois confier la responsabilité de conserver une trace de son histoire.

Je suis, personnellement, surprise de cette nouvelle théorie sexuelle infantile, et un peu perdue entre le prince, le fiancé et le roi. Il est une chose que j'entends cependant: c'est, clairement énoncée, la rivalité oedipienne de la fille envers la mère!...Angélique me demandera à plusieurs reprises de lui raconter "Blanche-Neige". Piera AULAGNIER (1975, p. 95) décompose en quatre étapes, l'Oedipe de la fille, qui correspond, selon elle, à l'historisation du désir dans l'ordre humain:

  1. Le désir d'avoir un enfant de sa propre mère;
  2. le désir d'avoir un enfant du père;
  3. le "désir d'enfant" avec un père imaginaire, qui figure l'homme du futur, le successeur du père;
  4. le désir d'enfant.

La question "D'où viennent les enfants?" se trouve donc rendue encore plus cruciale, pour Angélique, du fait de la grossesse de sa mère. Angélique l'articule à l'angoisse de la mort. A partir de ce moment, elle joue et rejoue ces questions, dans des jeux scéniques et dans des dessins, cherchant sa solution. Est-ce la vue de l'échographie de la récente grossesse, montrée par sa mère, qui déclenche alors chez la fillette une période très pulsionnelle qui tourne autour du développement du bébé dans le ventre de la maman, sous la forme de dessins qui, parfois, m'inquiètent? Pour Angélique, comme pour Nicolas, on pourrait penser que la vision d'une échographie, a constitué une rencontre avec du réel. ‘ "Il réclamait des mots pour fantasmer, elle (la mère) lui a imposé un spectacle de réalité, la vision même du Réel; Il a jeté un regard sur le trou de la vie - de la mort", rapporte Jean BELLEMIN-NOËL (1995, p. 39), à propos du secret confié par sa mère à Benjamin, le plus jeune garçon du conte de GRIMM, les "Douze frères". La mère a montré l'échographie de la petite sœur ou du petit frère, c'est-à-dire, à la fois la vision de l'intérieur de son ventre, et également une vague forme à peine perceptible, qui n'a rien à voir avec un "vrai" bébé, et qui est supposé être cette petite sœur ou ce petit frère. La "monstration" de la cicatrice, suite à la question de la fillette, ne serait-elle pas du même ordre de "réel"?

Peut-être que, de toutes façons, comme pour Nicolas, cette phase "d'explosion des manifestations de la pulsion", cette expression désordonnée et débordante des tensions pulsionnelles, était nécessaire pour pouvoir passer à autre chose de plus construit?

Dans le dessin qui clôt cette période très difficile, il s'agit d'un "coffre avec du rouge dedans. Un immense coffre. Du sang. C'est quelqu'un qu'on a tué. Il est mort. Il est parti mais il était dans le coffre. C'était une fille, méchante, qui voulait tout son sang. Il y a une fleur magique. C'est la femme noire. C'est elle qui tue, et quand elle tue, elle se met en fleur."

Elle déclare ensuite qu' elle veut écrire. Elle écrit le nom d'une de ses camarades de classe et demande mon aide, puis écrit son prénom, et "papa" "maman".

Ses dessins sont désormais plus structurés, les couleurs sont moins violentes. A sa demande, nous reprendrons des squiggles 619 , et elle m'expliquera les règles du jeu, comme venant d'elle, démontrant la fonction structurante du cadre, par son intériorisation. Ses inventions sont très différentes de ce qu'avait donné le jeu auparavant, plus structurées, plus conformes aux représentations "culturelles".

Angélique donne une illustration explicite des deux registres du transfert . Elle joue et rejoue des scènes qui concernent son "ailleurs", qu'elle transpose au sein de notre relation actuelle, dans le lieu spécifique de la rééducation. Elle a, de même, recours à des solutions élaborées au sein même de cette relation rééducative, face à l'excitation et à l'angoisse qu'elle rencontre. Elle les réutilise, comme si elles étaient siennes, ce qui en montre leur intériorisation. Le fait de proposer le squiggle comme étant sa propre invention, en est un exemple. De même, lorsqu'elle fait ses comptes. Compte-t-elle pour moi? Dans ce coffre plein de sang, une fleur pousse. Qui est cette "Dame Noire" qui tue et fait renaître? Elle m'a souvent demandé pourquoi je m'habillais souvent en noir...Peut-on trouver dans cette histoire un symbole de naissance, ou de "re-naissance"?

Angélique (4). (Re)naissance?
Angélique (4). (Re)naissance? "C'est un coffre avec du rouge dedans. Un immense coffre. Du sang. C'est quelqu'un qu'on a tué. Il est mort. Il est parti mais il était dans le coffre. C'était une fille, méchante, qui voulait tout son sang. Il y a une fleur magique. C'est la femme noire. C'est elle qui tue, et quand elle tue, elle se met en fleur."
Notes
619.

Présentés au chapitre XI, point 3-3-1.