Elle a "un amoureux", et la rééducatrice, une enseignante, est sa mère.

A: - "Toi, tu es la maman. Moi, je suis ton bébé. Je suis très gentille. Tu me dirais: "Tu feras à manger, le ménage, les courses".

Je lui fais remarquer qu'elle ne peut donc être un bébé!

A: - Tu serais une maîtresse. Tu irais au travail et pendant ce temps je m'occuperais de la maison. Ton mari il serait mort d'une crise cardiaque.

Je lui demande si on vivrait toutes seules.

A: - Oui, ce serait un peu dur, mais on n'en parlerait pas. J'aurais un petit copain: Janin...non, Janon... Je ferais des cauchemars. Ce serait un monstre. Je l'ai tué avec mon couteau.

Lorsque nous jouons ce scénario, "pendant le repas", Janon est supposé être là; une chaise vide symbolise sa présence. Elle s'oppose à moi, me déclarant qu'elle va partir avec son copain. Puis, pendant que je suis "au travail", elle fera celle qui parle seule: "Je lui ai menti à ma maman, il ne faut pas qu'elle sache que je reçois mon amoureux à la maison quand elle n'est pas là...".

Dans le jeu d'une relation parentale, Angélique s'oppose à sa mère à travers moi, et à moi. Elle montre qu'elle peut ne pas tout dire à sa mère, lui mentir, se séparer. Elle peut avoir un fiancé, ce qui montre le changement d'objet possible par rapport au père. "Mon mari" est mort.. Il semble cependant que le registre ne soit plus le même. Le fait que le père ait un successeur, en la personne du "fiancé", montre que la fillette a complètement changé de position par rapport à une problématique oedipienne. ‘ "Fondamentalement, le lien social est basé sur le meurtre du père" ’, rappelle Gabriel PIGNOLY (1989, p. 33). Angélique met en scène à présent un "père imaginaire", le "fiancé". D'après Piera AULAGNIER, la fillette serait alors entrée dans la troisième phase oedipienne de la fille 620 .

Elle peut avoir une vie propre, puisqu'elle peut envisager de partir un jour. Elle entre dans un processus de séparation. Dans la relation rééducative, elle évoque peut-être son départ, et la séparation d'avec la rééducatrice. Elle ne part pas sans rien dans ses bagages, pourtant. Dans le transfert, elle prend un peu de la rééducatrice, en empruntant une partie de son nom. Le fiancé s'appelle "Janin", ou "Janon". Elle se sépare donc tout en emportant quelque chose avec elle, sans abandon ni rejet, et sans culpabilité.

Dans le cauchemar, le personnage de la fille prend le dessus, et tue le monstre. Angélique manifeste-t-elle par là qu'elle prend du pouvoir sur sa vie, et qu'elle peut affronter seule "les monstres", à présent, ceux-là même "qui voulaient étouffer le bébé en l'attrapant à la gorge" 621 ?

La place vide "du fiancé" est une symbolisation des plus claires de l'existence du tiers , désormais. Angélique peut symboliser l'absence, le manque 622 . Est-ce ma place dans l'école qui fait que, bien que n'ayant jamais "parlé apprentissage" avec Angélique, je suis tout à coup, dans le jeu, à cette phase du processus, et dans le transfert, "une maîtresse"? Il nous faut noter ici que cette scène se passera, sensiblement dans les mêmes conditions, avec Ismène, par exemple...(Bien que la situation soit inversée: elle sera "ma mère", et institutrice). Sont en jeu, sans doute, à ce moment-là du processus rééducatif de l'enfant, des mécanismes identificatoires , qui échappent à la volonté consciente de la rééducatrice, mais qui relèvent des processus secondaires, pour l'enfant 623 Cette place vide du tiers, pourra-t-elle être occupée, en ce qui concerne Angélique, par l'objet culturel scolaire, par les apprentissages?

Notes
620.

Point 2-3, de ce chapitre.

621.

Point 2-2, de ce chapitre.

622.

Nous avons rappelé à quel point cette capacité de symbolisation est une étape fondamentale pour pouvoir se séparer, et pour pouvoir investir ailleurs.

623.

Dans le chapitre VII, point 6, repris dans le tableau de synthèse, point 6-7, nous avons rappelé l'importance des identifications secondaires dans la construction d'un Idéal du Moi conforme aux exigences du Surmoi, et à la "réalisation de soi".