Elle est une élève, et la rééducatrice est son institutrice.

"Toi, tu serais la maîtresse et moi je serais ton élève. Je serais toujours punie parce que je n'aurais pas fait mon travail. Tu aurais ton bébé et tu lui donnerais à manger pendant que je ferais mon travail. Tu serais obligée de me garder le soir."

Je lui demande où seraient ses parents.

A: - J'avais plus mes parents. Ils m'avaient abandonnée...Non, ils étaient morts. C'est madame Jeanne qui m'a adoptée. Elle est très sévère. Elle me fait faire tout chez elle, même la nuit, et je peux pas faire mes devoirs. C'est très chiant chez elle. Des fois j'ai envie de me sauver. Mais elle dort jamais. Regarde les coups de fouet! (elle fait semblant de me montrer son dos). Tu savais que madame Jeanne elle me faisait pas faire mon travail de classe. Je m'appellerais Angélique, et toi, Jeannine.

Nous commençons le jeu, selon son scénario.

En tant que "maîtresse", je lui propose de rester à l'étude le soir pour faire son travail.

A: - oui, ce serait bien. Après, je serai plus punie. Et si tu me prenais chez toi pour habiter?

Tout en restant dans le jeu, je lui oppose la loi: elle a été confiée à "madame Jeanne", et je n'ai pas le droit de la prendre chez moi comme cela.

Dans ces deux séances, Angélique met en scène "la réparation" de la relation, qui peut rappeler le processus que avons vu à l'œuvre avec Nicolas, ou encore Ismène. Tout en confirmant le registre transférentiel de l'identification à la rééducatrice, Angélique semble vouloir conjurer la fin de la rééducation qu'elle sent proche. Je n'ai pourtant pas encore évoqué cet arrêt. Elle sait qu'elle n'a plus besoin de la rééducatrice. Elle l'a affirmé de diverses manières. La première manifestation était de déclarer être désormais armée pour pouvoir tuer les monstres, seule. Elle vient ensuite d'effectuer, en quelque sorte, un paiement symbolique en s'offrant un fantasme dans lequel elle serait en position de pouvoir me porter aide, comme je lui ai porté aide un jour. Elle est tout à fait consciente de mon refus probable de poursuivre la relation alors qu'elle n'en a plus besoin, ce qui prouve que le cadre rééducatif a été posé au départ d'une façon suffisamment claire. Aussi, elle s'offre un deuxième fantasme, "en cadeau", nos enfants réciproques tomberont amoureux l'un de l'autre, et pourront reprendre, "en héritage", sorte de "transmission inter-générationnelle", qui prend donc en compte la généalogie, et la différence des générations, une relation qui s'achève. Sa dernière tentative, plus directe encore, puisque nos noms ne sont même pas changés, est une proposition "d'adoption". Moi "qui ne comprends rien", je lui oppose, dans le jeu, une position référée à la loi, qui la rassure. Je ne l'enfermerai pas dans mon propre transfert. Ce dédoublement de "Jeannine" et de "Jeanne", en écho à "Janin" ou "Janon", représentent, sans doute, deux registres de l'intervention de la rééducatrice. Elle a, sans doute, réussi à tenir une fonction maternelle "suffisamment bonne", en apportant soin, attention, écoute, compréhension, fonction contenante et conteneur. Elle a aussi, sans aucun doute, été perçue comme une "mauvaise mère" qui frustre, qui donne des castrations symboliques. On peut penser que ces deux versants maternels ont été articulés à une fonction paternelle, qui a apporté et maintenu les contraintes du cadre, qui s'est référée à la loi. Ce dédoublement des prénoms montre bien également les deux aspects de la relation: celle-ci peut être positive, constructive, à condition de ne pas enfermer l'enfant.

Angélique mange bien, rapporte sa mère. Pendant notre travail, Angélique a peu à peu appris à lire, en classe. Elle a éprouvé des difficultés importantes en début d'année, n'étant manifestement "pas prête", ou plutôt, pas disponible, pour entrer dans les apprentissages. Elle y est entrée avec un décalage, par rapport aux autres enfants, mais à présent, son maître dit que cela va beaucoup mieux, qu'elle est à l'aise dans la classe, face aux apprentissages, et dans la relation avec les adultes et avec les autres enfants. C'est à ce moment-là que se situe le bref échange dans l'escalier, que nous avons rapporté 624 . Nous envisageons l'arrêt de la rééducation.

Dans les dernières séances, la petite sœur est née. Angélique déclare qu'à présent, elle est bien contente. Elle dessine sa petite sœur, puis fait son autoportrait.

Angélique (5). "Ma petite sœur est née."
Angélique (6). " C'est moi."
Notes
624.

Chapitre XI, point 1-5.