1-1-3- Aline et les serpents. Une expression métaphorique qui élabore l'angoisse, en présence d'un autre qui écoute.

Des mots accompagnent un modelage en présence d'un autre. Déplacement, substitution, condensation, expression, symbolisation et élaboration de l'angoisse.

La maman d'Aline, six ans, vient de subir une greffe de peau qui se cicatrise très mal. Elle s'est brûlé le bras avec de l'eau bouillante. L'évolution de la plaie inquiète beaucoup la famille, et les séjours de la mère à l'hôpital, sont nombreux.

Aline, ce jour-là, parle de la plaie de sa mère, dont le sang traverse le pansement. C'est notre quatrième rencontre. Elle décide de construire une histoire avec de la pâte à modeler, et reprend des personnages réalisés lors de la séance précédente, et conservés. Il y a "un papa, une maman, une petite fille, son frère, et un chien.". Elle construit ensuite "des serpents", avec lesquels elle forme un cercle. Voici l'histoire que je note:

 Il était une fois une petite fille et un petit garçon qui se promenaient dans une forêt. Tout à coup beaucoup de serpents les ont entourés et tournaient autour d'eux. D'autres serpents sont venus piquer le petit garçon et la petite fille. Le papa et la maman sont arrivés. La maman a appelé le chien qui a mordu les serpents. Il les a fait saigner. Quand les serpents étaient morts, tout le monde est parti.  .

Lorsque, dans son scénario, le chien vient mordre les serpents, qui se mettent à saigner, elle explique qu'elle pose "des petits bouts de pâte à modeler sur les serpents, parce que c'est le sang"....et demande à aller aux toilettes.

J'ai perçu une émotion intense, chez la fillette, pendant ce modelage. Nous avons relevé à plusieurs reprises, dans ce qui a été relaté de diverses rencontres rééducatives, cette demande de l'enfant, d'aller aux toilettes, lors de "moments forts" de certaines séances. Angélique accompagnait cette demande, de celle de boire. Cette demande a, la plupart du temps, traduit une grande excitation ou une grande émotion. Nicolas en a apporté d'autres exemples. Comme les autres enfants que nous venons d'évoquer, dans les mêmes circonstances, Aline a refusé que je lui relise l'histoire en fin de séance. Je lui ai simplement dit, que ces enfants avaient échappé à un grand danger, et que, heureusement, le chien les avait aidés à être plus forts que les serpents.

Aline a déjà parlé, à plusieurs reprises, de son inquiétude par rapport à sa mère, mais à ce moment-là, semble-t-il, grâce à la médiation du modelage, elle a pu élaborer quelque chose de sa propre angoisse, faisant de cette parole, SA PAROLE. Cette élaboration marquera une étape, celle de l'assomption d'Aline dans une implication subjective de son processus rééducatif. On peut penser que l'angoisse exprimée ici par la fillette provient, non seulement de la maladie de la mère, qui est une préoccupation partagée par la famille, mais du fait que la fonction parentale, qui est de protéger les enfants, est inversée, dans sa réalité familiale actuelle. Les enfants, perdus dans la forêt, symbole, dans tous les contes, de toutes les peurs, de l'inconnu, sont attaqués, "piqués par les serpents", ils souffrent. Vont-ils mourir? Dans son histoire, elle se défend de cette angoisse en renversant la situation, et en restituant aux parents leur fonction protectrice. On peut les appeler au secours. Le chien est un auxiliaire précieux de cette protection.

La rééducatrice parviendra-t-elle à remplir une fonction de protection auprès d'elle? "Quand les serpents sont morts", on peut partir...On peut entendre, peut-être, également, dans le transfert de la relation présente, que l'on quittera la rééducation, lorsque l'on en aura plus besoin?...

On peut retrouver les mêmes mécanismes que dans le rêve, dans ces élaborations des enfants, ces mythes, ces "petites histoires". Le déplacement, la substitution, la condensation y sont à l'œuvre. La symbolisation permet une élaboration, un dépassement de l'angoisse et des conflits internes.

Aline a souhaité conserver les personnages pour la séance suivante. Elle ne les réutilisera pas, en fin de compte, car elle passera à tout autre chose: le dessin d'un anniversaire. On peut penser que cette "re-présentation", métaphorisation, de son angoisse, en présence d'un autre, et accompagnée de paroles, dans un échange, a pu, provisoirement, constituer une métabolisation suffisante, pour qu'elle puisse penser, et passer à autre chose.

Le jeu est une des principales occupations "sérieuses" du jeune enfant. Le projet rééducatif lui propose de jouer, pour parler, pour mieux se comprendre, pour "aller mieux". Nous avons rapporté de nombreux exemples de mises en scène, conçues par les enfants, dans l'espace rééducatif. L'adulte y était la plupart du temps, d'abord, spectateur, puis partenaire symbolique. Le jeu est un outil d'élaboration précieux, dans la mesure où il engage la totalité de la personne, et où il ouvre à la parole, à la communication, à l'échange.