1-1-4- Le jeu, "re-présentation" et élaboration des préoccupations de l'enfant et des processus de séparation. Constitution d'une aire potentielle d'échange et de communication, de création.

Récupération par l'enfant d'une certaine maîtrise sur soi, sur sa vie, sur les événements, sur le monde.

Le nouveau-né ne joue pas (le psychotique non plus). Il manipule, expérimente, à partir de son corps, pour découvrir à la fois celui-ci et le monde. Lorsque le jeu est absent, violence, apathie, désintérêt, agressivité, destruction, sont susceptibles de surgir. Pour jouer, il faut avoir développé des capacités de représentation suffisantes, il faut avoir construit des ressources imaginaires, et avoir commencé à les élaborer sur un mode symbolique. Il est nécessaire de pouvoir se projeter sur un mode imaginaire, sur le monde extérieur, et il faut pouvoir introjecter celui-ci de la même manière, dans un aller-retour qui est invention, création de soi et de sa relation au monde 637 . ‘ "C'est du jeu que naît la capacité de rêver et de créer. C'est par le jeu que l'enfant se découvre et se constitue, et c'est dans le jeu que se trouvent expérimentés presque tous les pré-requis des apprentissages cognitifs ultérieurs. Un enfant qui n'a pas assez joué ne peut pas apprendre."(THIEFAINE, 1996, p. 12).

Situés entre le rêve et la réalité, les jeux de "faire-semblant", proposés par le projet rééducatif, appartiennent à une aire d'illusion. Ils se rattachent aux phénomènes transitionnels, décrits par WINNICOTT. C'est dans l'espace transitionnel, ou "aire d'expérience" que se développe également ce qui ouvrira à l'expérience culturelle, car cet espace est celui de la construction du symbolique. L'objet "déjà-là", fourni par l'environnement et support du jeu, lorsque l'enfant se l'approprie psychiquement, devient un objet "trouvé-créé", médiateur entre la réalité et l'imaginaire."L'acte de jouer se produit au moment où l'enfant peut utiliser ce qui est déjà là et qui n'appartient pas à son monde, et le transcrire en quelque chose qui devient propre à son histoire."(GUTTON, 1989, p. 14). Angélique qui s'approprie la trousse du médecin et la poupée, pour conjurer ses peurs et ses angoisses, Nicolas qui projette sa quête de lait sur les petits animaux, illustrent parfaitement cette dimension du jeu.

Nous avons relaté les jeux de Nicolas, avec les petits animaux, puis avec la pâte à modeler. Nous avons rapporté les "jeux de docteur, de maman et de bébé", d'Angélique, les dialogues imaginaires de Denis, ou les jeux de "maman-fille" d'Ismène. Nous avons vu Marie-Ange, Malaurie, Denis et Ismène, Benoît, Nicolas ou Angélique, aux prises avec des processus de séparation vis à vis de leur milieu familial. Nous les avons suivis dans l'élaboration de cette séparation.

Le jeu de "faire-semblant", par sa fonction cathartique, peut, quelquefois, suffire à libérer l'enfant de ses préoccupations immédiates, grâce à la symbolisation réalisée au sein même de ce jeu. Ce fut le cas, par exemple, du jeu en relation avec la peur de la visite médicale, pour Angélique. La parole de la rééducatrice, comme sa place dans le jeu, étaient celles d'un partenaire symbolique. L'adulte a toujours renvoyé, en fin de jeu, ce qui avait été perçu du scénario, et du ressenti de l'enfant. Ce dernier, refusait cette parole ou se l'appropriait, la complétant, la rectifiant, s'il le jugeait nécessaire. Cette verbalisation permet d'inscrire le jeu dans une double symbolisation: celle du jeu lui-même, et celle de la chaîne signifiante qui fait lien entre l'adulte et l'enfant. A cette condition, peut se constituer un espace potentiel d'échanges, de communication, qui peut devenir l'espace transitionnel d'une création commune.

Le jeu, en rééducation, par son statut de "faire-semblant", garanti par le cadre rééducatif, constitue pour l'enfant une occasion privilégiée, de revivre les expériences mal vécues de séparation, de manque, de déliaison, de mise hors-groupe, et toutes expériences non cicatrisées, d'une manière non dangereuse. Le jeu permet ainsi de développer la tolérance à la frustration, à l'attente, au différé, mais aussi d'expérimenter des possibles que l'enfant ignorait en lui, d'étendre ses limites, son pouvoir de maîtrise sur le monde tout en apprenant à contrôler ses pulsions, à reconnaître ses émotions. Il permet de construire et d'exercer la conscience de soi et des autres, ses capacités de représentation mentale, préalables indispensables pour pouvoir entrer dans des processus d'apprentissage. Nous avons abordé, à partir de ce que jouaient Benoît, Nicolas ou Angélique en rééducation, en particulier, les différentes dimensions de ces élaborations et de cette reprise de pouvoir sur soi et sur le monde.

L'imaginaire est l'espace du rêve, des élaborations fictives qui permettent, à l'adulte comme à l'enfant, de fuir et de se protéger de ses propres tensions, de compenser les pertes de pouvoir, les pertes de valeur, les blessures. Il permet de pouvoir différer le plaisir, en le rêvant. Piera AULAGNIER (1975, p. 125) souligne que, pour le ‘ "Je", "ce pouvoir de rêverie est une nécessité pour son fonctionnement, une exigence pour sa structure."Cependant, les fantasmes, la rêverie, peuvent devenir folie, s'ils ne sont pas mordus par le symbolique. A son tour, le registre symbolique, articulé à l'imaginaire, peut devenir instance de réparation, par rapport à un réel menaçant.

Notes
637.

La capacité de l'enfant à jouer, constitue un des indicateurs pour proposer une rééducation . Nous avions cité alors René DIATKINE: "Seuls les enfants qui savent jouer sont scolarisables".