1-1-6- Alain a trouvé une montre. "Re-présenter", pour accompagner le passage du principe de plaisir au principe de réalité, pour accepter la frustration.

Alain est au Cours préparatoire, à présent. Il a trouvé une montre, dans la cour. Elle lui plaît, et il veut la garder. Je lui rappelle le principe de réalité: cette montre appartient sans aucun doute à un autre enfant, à qui elle va manquer, qui est sans doute triste, et qui, de plus, va peut-être se faire gronder pour l'avoir perdue. Je lui rappelle la règle de l'école, qui est de confier la montre à l'enseignant qui se charge de demander à toutes les classes à qui appartient l'objet perdu. Il se renfrogne, se "rétracte" corporellement, boude. Je lui propose alors de dessiner la montre. Il accepte, d'abord avec réticence, puis y prend du plaisir. Je l'invite à accompagner son dessin de mots qui "parlent" cette montre. Lorsqu'il part, j'ignore ce qu'il fera de la montre.

Lors de la rencontre suivante, il m'annonce qu'il l'a donnée au maître. On cherchera à qui elle appartient. Il demande à revoir son dessin, et annonce qu'il demandera à ses parents une montre semblable, pour Noël, ou pour son anniversaire, plus proche.

Alain (2). "La montre que j'ai trouvée par la cour."
Alain (2). "La montre que j'ai trouvée par la cour."

Le rappel de la loi, peut-être, le rappel du principe de réalité, qui s'oppose au "tout désir, tout plaisir" qui animait Alain, l'ont freiné sans doute dans son geste d'appropriation. Mais cette perte volontaire est ressentie par le garçon comme une frustration difficile à vivre 639 . Celle-ci ne parviendra à être dépassée qu'à partir du moment où il aura dessiné une montre toute semblable 640 . L'image de cette montre ne pourra devenir un objet symbolique qu'à partir du moment où Alain aura pu faire fonctionner à son égard un désir tempéré par le principe de réalité, inscrit dans le temps: Noël ou l'anniversaire, et qu'il aura pu parler d'une montre qui n'est plus celle qu'il a trouvée, dont il s'est distancié, mais qui est SA future montre. L'éprouvé de frustration est du coup, transformé lui aussi, métabolisé, en un plaisir attendu.

C'est par la mise en mots, par la mise en forme, par le cadrage de l'imaginaire par le symbolique, que l'enfant va pouvoir accepter sa division de sujet, accepter des limites entre ce qu'il peut faire et ne peut pas faire, entre ce qui lui est permis de faire ou interdit de désirer. C'est par l'intervention du symbolique sur ses fantasmes, qu'il va pouvoir se (re)trouver en tant que sujet, ayant accepté d'entrer dans la loi sociale et la culture, avec les limites que cela implique, mais aussi les promesses d'être plus riche en expérience et en plaisir.

Avoir symbolisé, élaboré, les éprouvés du corps, les émotions et les préoccupations trop envahissantes, permet à l'enfant de s'en libérer. Un déplacement s'effectue, il peut passer à autre chose. L'énergie devient disponible pour d'autres investissements. Les "petites histoires" de l'enfant peuvent s'articuler entre elles pour devenir un récit dans lequel il peut se reconnaître.

Notes
639.

Le mot "frustration" est utilisé en référence à ce que Jacques LACAN en élabore comme une des formes du manque d'objet: le manque est imaginaire, l'objet est réel, l'agent est symbolique: Jacques LACAN (1956-1957). Par exemple, le tableau de synthèse p. 215. Nous avons rencontré la frustration à propos de Marie-Ange (chapitre X, point 5-3-1) Nous avions constaté alors que, bien qu'étant un manque imaginaire, elle a pu ouvrir au symbolique, comme l'affirme Jacques LACAN.

640.

Dessin reproduit au point 1-3-3, "Alain, dessin N° 2".