1-3-3- Des écrits sur des dessins, ou après des jeux, issus d'un imaginaire pacifié. "C'est moi qui écrit l'histoire". Une ouverture au culturel, qui est à confirmer.

Nous proposons ici deux dessins d'Alain qui reprennent sensiblement les mêmes personnages, mis en scène dans le cauchemar que nous avons rapporté 644 . Dans le dessin "numéro 3" (vingt-quatrième séance), il est encore question d'un cauchemar, et les personnages sont encore "déguisés". La "sorcière" y est en compagnie, cette fois "d'un fantôme".Ils sont dans un château. Un arc en ciel (non visible sur la reproduction) domine la scène.

Alain (3). Le château du fantôme et de la sorcière.
Alain (3). Le château du fantôme et de la sorcière.

Le dessin suivant (numéro 4) représente "Le château du roi et de la reine". Le souci orthographique y est visible. Celui de soigner l'écriture également, puisque le papier quadrillé a été choisi volontairement par Alain "pour écrire droit". Le roi et la reine sont dans une position étrange, que le garçon explique en disant: "ils font le cirque". Un chien est présent, dont il est précisé (et écrit) qu'il est "gentil". Si de nombreuses questions, sans doute, ne sont pas résolues, la scène est paisible et l'évolution de ces dessins manifeste plus que tout autre discours, l'évolution du garçon. Il y a place, désormais, dans sa pensée, pour des préoccupations d'ordre scolaire. Entre l'envahissement pulsionnel du dessin de cauchemar de notre troisième rencontre, et le "dessin numéro 4", que de chemin parcouru en à peine plus d'une année!

Alain (4). Le château du roi et de la reine.
Alain (4). Le château du roi et de la reine.

Le deuxième exemple concerne Ismène. Le parcours rééducatif de la fillette a été difficile, éprouvant, pour l'enfant, et pour les adultes concernés. Son enseignante a reconnu ne plus pouvoir supporter la fillette, parfois, et ne plus savoir comment faire, souvent... Les explosions des tensions pulsionnelles, et les passages régressifs n'ont pas manqué, en classe, et dans l'espace rééducatif. Le premier livre qu'Ismène avait pris dans ses mains, feuilleté, puis abandonné, avait été le livre d'information sexuelle "pour les enfants de 6 à 9 ans"...

Nous avions relaté comment elle avait fait fonctionner, pour elle, la "métaphore paternelle", faisant appel à la loi, faisant jouer la castration symbolique du cadre, élaborant ainsi les processus de séparation par rapport au monde familial. Nous avons relaté nos vingt-neuvième et trentième rencontres 645 . Dans le jeu de la trentième séance, Ismène, en tant que "fille" dans le jeu, avait demandé à "la mère" de son scénario, de lui raconter une histoire, "avant qu'elle s'endorme". C'est au moment où je lui renverrai l'histoire que nous venons de jouer, qu'elles'écrie: "C'est beau comme dans un livre!", exclamation qui nous inspiré le titre de ce chapitre. Depuis, une évolution nette se fait sentir.

Lors de la rencontre suivante, les rôles sont inversés, et je me retrouve être "sa fille". Elle me fait faire ma lecture, le soir, et je dois lui lire...le chapitre suivant du même livre !...Parallèlement, l'enseignante note une amélioration du comportement et du travail d'Ismène, en classe. Elle accepte enfin les règles collectives, elle ne cherche plus le regard constant des autres, et elle s'applique dans son travail.

Nous nous retrouvons, après une absence de ma part, pour un congé maladie. C'est notre trente troisième rencontre. Après le jeu, établi suivant son scénario, elle déclare: "Si tu veux, je vais écrire l'histoire au tableau. Après, tu la copieras sur ta feuille." Je lui signifie que je suis à sa disposition, si elle a besoin d'une aide. Elle décide alors qu'elle sera la maîtresse, et que je serai l'élève (comme dans le jeu qui a précédé). Elle me demandera, par conséquent, de venir écrire au tableau, de temps en temps. (J'écrirai donc, à sa demande, quelques mots qui lui auront paru présenter des difficultés orthographiques). L'enseignante, rencontrée peu après, m'apprend que, pour la première fois, l'amélioration sensible du comportement et du travail, notée précédemment, s'est maintenue. Mon absence n'a pas remis en question cette évolution, alors qu'auparavant, lors d'absences occasionnelles (et pourtant toujours parlées) de ma part, la fillette était particulièrement perturbée. C'est la confirmation que quelque chose a bien basculé dans le processus rééducatif d'Ismène. Quelque chose semble, désormais, pouvoir ouvrir au culturel, à l'écrit, que celui-ci soit créé par la fillette, dans un objectif d'échange et de communication, ou bien reçu, par la médiation du livre.

L'arrêt de la rééducation n'est pas à prévoir pour autant dans l'immédiat. Une première séparation semble s'être produite, au sein de la relation rééducative. Ismène a renoncé à chercher la complicité imaginaire d'une relation duelle, de type symbiotique. Un troisième pôle existe . Il reste encore à consolider ce qui est acquis, comme à parcourir encore ensemble un bout de chemin afin que la triangulation de la relation, qui semble s'être affirmée, puisse effectivement confirmer cette ouverture sur le culturel et conduire à une deuxième séparation, résultat de la capacité de l'enfant à poursuivre son chemin, sans aide, du moins rééducative.

Avec des enfants plus grands, la situation est un peu différente. Ils sont, normalement, entrés dans l'écrit, que ce soit la lecture, ou que ce soient des productions personnelles. Cependant, certains le refusent, rechignent à écrire, en retardent le moment, ou font à la hâte tout travail écrit "pour en être plus vite débarrassés". Ils peuvent ne pas y trouver de sens pour eux et ils n'en voient pas l'intérêt, ou bien, le plus souvent, ils craignent d'y trouver un sens trop dangereux, et ils en ont peur. L'aide apportée se donne comme objectif de les réconcilier avec cet écrit, de pacifier celui-ci, de les aider à découvrir qu'il peut devenir un plaisir, un moyen privilégié d'expression non dangereux, de leurs problèmes, de leurs difficultés, d'eux-mêmes, et une voie pour développer leurs processus d'auto-réparation.

Dans la présentation que nous avions faite du cadre rééducatif, si nous avons pu établir la nécessité de définir un cadre précis, dans une praxis élaborée avant toute rencontre avec l'enfant, nous avions souligné une dimension de ce cadre rééducatif: celle qui relève de la responsabilité de l'enfant 646 . Les capacités de celui-ci à faire alliance avec quelqu'un qui se propose de l'aider, et ses capacités d'auto-réparation, y sont requises. C'est de l'existence de cette dimension du cadre rééducatif, que Jacques laisse supposer, par ses écrits.

Notes
644.

Au point 1-2, dessin numéro 1.

645.

Chapitre XI, point 1-4.

646.

Chapitre IX, point 2-4-5..