2- Par une rencontre avec l'imaginaire culturel, Kaled donne du sens à un "non-dit", se "re-trouve" dans son histoire, et récupère ses capacités créatives. Le "tiers culturel" comme ressource pour pouvoir penser.

2-1-Des débuts difficiles, dans la vie, et en rééducation.

Blocage de la capacité de penser, sur du non représentable, de l'impensable.

Kaled est un garçon âgé de dix ans, en situation d'échec scolaire massif, et ne manifestant aucun désir d'apprendre. Son élocution est difficile, sa parole "hachée". Une "instabilité" a motivé une aide psychomotrice pendant deux ans, par un CMPP. C'est la situation scolaire "catastrophique" du garçon, malgré les aides antérieures dont il avait bénéficié, qui a incité l'équipe pédagogique à tenter quelque chose, et à envisager une rééducation pour lui. Il a été adopté en Algérie à l'âge de 5 mois, en même temps qu'une soeur d'un an plus âgée que lui, qui ne pose aucun problème particulier. Le garçon était alors en état de marasme physiologique et psychologique. "Il était mourant" rapporte le père, au cours de notre première rencontre. Une atrophie cervicale droite a entraîné une hémiplégie du côté gauche. Il en a conservé un handicap moteur qui touche jambe et bras gauche. Bébé, il a connu de nombreuses hospitalisations, mais à présent, son état de santé est satisfaisant. Il est toujours suivi sur le plan médical et par un kinésithérapeute. Son niveau intellectuel a été évalué comme sensiblement normal.

Lors de notre première rencontre, le père évoque les difficultés de son fils, mais souligne: "Il n'est pas bête; il comprend s'il veut comprendre". Kaled précise alors: "Quand j'apprends, je sais juste un morceau... c'est trop dur!". Resté seul un moment après le départ de son fils, le père exprimera ses difficultés à expliciter à celui-ci ses origines: "Je ne trouve pas la porte pour lui dire...". Les parents craignent de perdre l'amour du garçon et ont décidé d'attendre que celui-ci ait 18 ans pour lui parler de son adoption. Le père se montre très soupçonneux envers son fils: "On ne peut pas lui faire confiance...Il raconte des histoires..." Il reconnaît qu'il lui est arrivé de vérifier lui-même ou d'envoyer la soeur aînée constater la présence de Kaled là où il devait être.

S'agit-il d'une projection, de la part du père, de sa propre attitude, liée à sa culpabilité de ce qu'il cache à son fils?...

Lorsque ses parents ont autorisé cette nouvelle aide, Kaled a exprimé son accord, mais une fois la rééducation commencée, il déclare que tout va très bien et ne formule jamais aucune demande précise. Les choses ne bougent pas beaucoup. Les résultats scolaires sont catastrophiques. Les parents "baissent les bras". Lorsque je les rencontre à nouveau, le père évoque son impuissance à aider son fils sur le plan scolaire, ni lui, ni sa femme, ne sachant lire et écrire. La mère, découragée, pleure.

Je suis entraînée moi aussi à un moment donné, dans ce ressenti d'impuissance. La rééducation me semble "piétiner"...

Tout porte à croire, que le garçon "sait, tout en étant supposé ne pas savoir" quelque chose sur ses origines, car il a été parlé de son histoire devant lui, au cours des nombreuses consultations médicales et psychologiques dont il a été l'objet depuis sa petite enfance. Kaled reprend-il à son compte cet interdit de savoir, de connaître, de parler, et de se souvenir, posé par le père? Ce non-dit, qui est en réalité un mi-dire que le garçon n'est pas supposé connaître, explique-t-il sa peur de penser et son impossibilité à accéder à la culture ? Il "en sait juste un morceau" disait-il. Est-ce "trop dur" d'en savoir plus ? Cela explique-t-il ses difficultés à exprimer quelque chose de personnel également? Ses réponses à mes questions, à mes invitations et sollicitations, se limitent, la plupart du temps, à des monosyllabes. S'agit-il d'une peur ou d'un peu de désir de s'exprimer?