2-3- Recherche identitaire. Transformations.

Constitution d'un espace potentiel de création. Tâtonnement. Etayage sur l'imaginaire culturel. Elaboration sur un mode métaphorique de ce qui ne pouvait pas être dit.

Lors d'une rencontre ultérieure, je propose à Kaled d'inventer une histoire. J'écrirai sous sa dictée, ce qui devrait l'aider à surmonter "un blocage" devant l'écrit. Il n'invente pas véritablement une histoire, mais se remémore un conte qu'il dit avoir entendu de son maître de Cours élémentaire deuxième année. Il reconnaîtra ensuite avoir suppléé à quelques "trous de mémoire", ce qui fait preuve de ses capacités d'élaboration, et d'une reconstruction dans laquelle sa personne est impliquée. Voici son récit:

"Un prince doit rapporter au roi sept oeufs d'or, pour pouvoir épouser la princesse. Il devra traverser une forêt, franchir une falaise, affronter des "monstres" dans une grotte (5 ours et 2 loups), afin de s'emparer des oeufs d'or. Le jeune homme se perd dans la forêt. Sept cavaliers refusent de l'aider mais un vieil homme accepte de l'accompagner. Les monstres se révèlent être les cavaliers rencontrés précédemment. Ils reprennent apparence humaine lorsqu'il les attaque "avec une lance ou une épée". Ils lui donnent 2 oeufs d'or en récompense de les avoir découvert. Le prince doit ensuite tuer des serpents. Le vieil homme se transforme alors en monstre qui, grâce à l'astuce du prince, sera éliminé par d'autres serpents. Le prince reviendra victorieux, muni des sept oeufs d'or, et pourra épouser la princesse."

Les contes, mythes et légendes, sont porteurs de symboles universels. Ce n'est pas verser dans "la clef des songes", que de relever dans cette histoire, ce qui est souvent considéré comme des symboles de maternité ou de féminité (œufs, grotte, trésor...), des symboles phalliques (serpents, lance‚ épée...) ou des symboles de la recherche identitaire (la forêt, lieu d'épreuves, lieu de l'inconscient également, la falaise à franchir, les obstacles à surmonter...). Quoiqu'il en soit, il s'agit de la mise en scène d'une série d'épreuves initiatiques. Cette histoire a pour thème principal, la ou les transformations: d'un garçon en homme, qui peut être lié au désir de grandir et de s'affirmer, mais aussi la métamorphose autour de l'opposition animalité- humanité avec possibilité de passage de l'un à l'autre état, dans les deux sens. Ce sont d'abord des animaux (loups et ours) qui reprennent forme humaine devant le courage du garçon. Quant au vieillard, un être à apparence humaine qui se présentait comme un ami, une aide, un secours, il va prendre la pire forme animale puisqu'il va devenir un monstre qu'il faudra éliminer. Si cette histoire met en scène une transformation inverse à celle d'un conte comme "La belle et la bête", par exemple, la jeunesse et le courage triomphent à la fin. La génération du roi et du vieillard (celle du père ?) n'est-elle pas remplacée par celle du prince et de la princesse? La transformation du vieillard en "monstre", permet que cette élimination soit moins entachée de culpabilité.

Tout en étant la réminiscence d'une histoire entendue, nous pouvons penser que le fait de rapporter cette légende, à ce moment-là de son processus rééducatif, n'est pas anodin, fortuit, dans l'itinéraire et l'évolution de Kaled dans sa propre recherche identitaire. Qui suis-je? De quoi suis-je capable? A quoi, à qui peut-on se fier, si les apparences et les mots sont trompeurs? Comme le rappelle Bruno BETTELHEIM:"Les mythes et les contes de fées dérivent ou sont l'expression symbolique de rites d'initiation ou autres rites de passage, par exemple la mort métaphorique d'un ancien moi inadapté afin de renaître sur un plan d'existence supérieur."(1976, p. 59).

Lors des séances suivantes, Kaled se questionne par rapport à son changement d'école. Ses acquis scolaires font envisager une orientation en Section Spécialisée de Collège. Son handicap est un obstacle à certaines formations professionnelles. Kaled, quant à lui, n'a pas de désir précis en ce qui concerne un choix professionnel, mais il craint d'avoir à s'adapter encore à un nouveau contexte.