Du processus rééducatif...

On peut retrouver, chez la plupart des "enfants rééduquants" un processus sensiblement similaire, dans l'évolution de leur rapport à l'écrit, toute proportions gardées de leur âge, du lieu où ils se trouvaient dans leur parcours scolaire, et d'un rythme variable, selon chaque enfant.

  1. La rééducatrice leur a prêté ses mots, introduisant, "injectant" le symbolique de la parole, doublé du code symbolique de l'écrit, assurant la fonction contenante et la fonction conteneur de leurs angoisses, des manifestations de leurs pulsions, de l'expression de leurs difficultés, des productions d'un imaginaire vécu et ressenti comme dangereux.
  2. Les enfants ont pu jouer, REPRESENTER, SYMBOLISER, leurs angoisses, les processus de séparation, l'absence, le manque, la perte, dans des modelages, des dessins, des jeux. Ils ont joint leur voix à celle de la rééducatrice, la requérant dans les jeux, construisant unespace transitionnel, "espace potentiel", ou "aire intermédiaire d'expérience"WINNICOTT (1971, p. 9)., devenu espace commun de création. Ils ont d'abord approuvé, éventuellement rectifié les paroles de la rééducatrice, puis complété, en ajoutant leurs propres mots. Ils ont pris la parole eux-mêmes, donnant une forme communicable, échangeable, à leurs élaborations, permettant à celles-ci de devenir des créations, et non plus des fantasmes sur lesquels auraient été mis des mots, par un autre. Les enfants ont pu reconnaître cet imaginaire "apprivoisé", rendu dicible, communicable, par l'intervention du symbolique, et l'utiliser comme ressource pour construire des "mythes individuels" ou "PETITES HISTOIRES".
  3. Ils se sont intéressés à l'écrit de la rééducatrice, commençant à y trouver des repères pour eux-mêmes, une "mémoire", de leur processus rééducatif qui était déjà l'ébauche de leur histoire. La verbalisation, complétée de l'écrit, de la trace graphique, a pu les aider à structurer le passage aux processus secondaires et l'acceptation du principe de réalité. Un objet tiers a pu se constituer. Ils ont éprouvé du plaisir à entendre leur texte, et commencé à réaliser qu'ils étaient capables de créer quelque chose de valable, quelque chose de valorisant. Une restauration du narcissisme, de l'estime de soi, de l'identité en est advenue. Ces productions ont pu s'inscrire dans le temps, se constituer en un RECIT, dans un processus soutenu par la trace, L'INSCRIPTION même du processus rééducatif, dans le temps.
  4. Puis ils ont, souvent, inscrit des paroles sur leurs dessins, dans des "bulles" qui donnaient vie à ceux-ci. UneDISTANCIATIONde l'enfant, par rapport à ses propres symbolisations, grâce au support de la parole, des histoires racontées, du dessin, de l'écrit, a pu se produire.
  5. Ils ont voulu, enfin, inscrire eux-mêmes leurs histoires, et "prendre la plume". En refusant une plus longue dépendance, en affirmant leur autonomie, en revendiquant leur besoin de maîtrise sur leur vie, ils se sont déclarés capables de le faire. Des processus identificatoires secondaires, transitoires, par rapport à la rééducatrice qu'ils avaient vue écrire, se sont produits, sans doute. Le plaisir partagé avec un adulte à entendre ses textes, a toujours été une contribution importante à une revalorisation narcissique et à une confiance en soi retrouvée, et a préparé le désir de créer et la capacité pour le faire. Ce plaisir s'est, la plupart du temps, accompagné de la découverte d'autres écrits, ceux des livres.

Il semble que l'intérêt envers l'écrit des livres, dans tous les cas que nous avons rencontrés, est apparu dans le même temps que l'intérêt de l'enfant pour sa propre histoire. Le VOULOIR LIRE, s'il accompagne le POUVOIR LIRE, dans le sens de "pouvoir symbolique de lire", ne l'a pas précédé. Ce pouvoir symbolique est pouvoir sur soi et sur le monde . Nous avons pu rapporter la jubilation des enfants qui accompagne la récupération de cette maîtrise. Le SAVOIR lire pourra alors advenir, comme aboutissement d'un processus.