2-4- Un "non-dit" qui semble empêcher Frédéric de penser.

"Tout est langage".

Des règles qui protègent l'enfant de l'intrusion intempestive des désirs de "guérir" du rééducateur.

Cependant, Frédéric n'exprime rien de personnel, et semble "se fermer" dès que quelque chose de cet ordre pourrait être abordé. Il s'agite alors, change de sujet, fuit, reprenant ses anciens comportements. Capable, par moments, à présent, de se tenir sur une activité qui lui plaît, il arrive, certains jours, très agité, ne pouvant rien faire de suivi.

Je pense alors que la parole fait peur à Frédéric. Trop de choses ne sont pas dites. Il me semble que son instabilité, sa difficulté à désirer connaître, sont liés à ce qui est noué chez le garçon. Ce qui a pu se construire, fait illusion, peut-être, reste "en surface", ne peut atteindre un remaniement suffisant de ses manières d'être au monde, pour qu'il s'y sente heureux, plus libre, pour qu'il accroisse ses capacités de penser. Comment libérer cette parole, ce non-dit? Est-ce la mort de son père? Est-ce l'accident de sa mère? La mort du père, dont il ne parle jamais, était peut-être devenu un traumatisme pour le garçon, si l'on se réfère à FREUD, parce qu'il avait été redoublé par l'accident de la mère? Frédéric semble tenir à ses symptômes, comme à une protection, et il les présente comme un bouclier qui pourrait empêcher que l'on touche à ce qui est derrière. Ce bouclier, il s'en sert lui-même pour éviter de penser.

En mai , je rencontre le maître (à sa demande), en présence de la mère et de Frédéric, "pour faire le point". Frédéric est agité pendant tout l'entretien. Il n'intervient pas, et, au contraire, se détourne quand je m'adresse à lui, "bricole". "Je n'aime pas qu'on parle de moi", dit-il. Je renvoie que ce n'est pas DE lui que nous souhaiterions parler, mais AVEC lui. La mère intervient alors: - Il aime encore souvent jouer le bébé, à l'école, à la maison. A avoir perdu son père si jeune, il a tout reporté sur moi, et il est perdu sans moi. Mais je suis bien décidée à exiger plus de choses de lui à la maison, qu'il se débrouille plus tout seul. La mère évoque ensuite la rivalité fraternelle, que Frédéric conteste.

Si la rééducatrice, ici, a rempli une fonction de tiers entre la famille et l'école, et de partenaire de la relation éducative , Frédéric s'est peut-être senti "objet" de qui on parle, et non sujet à qui l'on parle. Il semble surtout s'être réfugié dans cette position, qui lui évitait de trop s'impliquer dans cet échange. J'ai pensé qu'il avait peut-être eu peur de ce qui pouvait se dire. Il est cependant intervenu pour exprimer son désaccord, quant à la "jalousie" envers sa sœur, décrite par la mère. II nie la rivalité fraternelle, les relations avec sa soeur constituant, peut-être, un sujet moins "explosif", mais ne répond rien quant aux deux événements traumatisants de ses six ans, évoqués par sa mère. Il semble fuir et se réfugier dans le langage analogique de son agitation. Que veut dire Frédéric avec son corps, qu'il ne peut encore exprimer en parole? "Tout est langage", affirme Françoise DOLTO (1987).

Comment aider Frédéric à "mettre des mots"? Je me pose ces questions face à lui, mais en même temps, je ne dois pas "y toucher", sans risques de détruire par une intervention trop intrusive, trop brutale, un équilibre défensif que je ressens comme très fragile, trop important pour le garçon. La règle d'interdit d'intervention dans la réalité, et de "non interprétation" me protège, quant à moi, de mes désirs trop pressants de vouloir faire avancer les choses, "pour le bien de l'enfant". Il faudra attendre que la confiance soit assez grande entre nous, que Frédéric chemine encore, peut-être, qu'un événement se produise, qui serve de déclencheur...Je prévois de proposer plus de contes, comme médiations rééducatives, comptant sur l'aide de l'imaginaire collectif et la rencontre de Frédéric avec l'expression de sentiments dans lesquels il pourrait reconnaître ceux qu'il enferme en lui.

Un événement survient alors, qui permet une première ouverture à la parole.