2-5- Une attente angoissante. Une "brèche" dans le silence. "Crise".

"Ma maman ne veut pas que j'en parle et que j'y pense." Il faut du temps pour qu'une parole émerge. Transfert. Assomption de l'implication subjective de Frédéric dans son processus rééducatif.

Frédéric négocie ses horaires de séance, première étape d'un processus vers la responsabilité de soi-même et l'autonomie.

Nous sommes début septembre (seconde année de rééducation). Frédéric recommence son Cours Moyen Première année. Nous attendons sa mère qui devrait arriver.

Au bout d'un moment, Frédéric est très inquiet, car sa mère n'arrive pas. Il fait des allées et venues entre sa chaise et la fenêtre, guette, s'agite 666 .

F- Et si elle avait eu un accident?...Est-ce que je serais prévenu?

Je lui réponds que oui, on le lui dirait, puis je lui demande s'il peut parler de cette si grande peur.

F: - Oui, j'y pense souvent et je me fais du souci pour ma maman, ...ou mon papa...

J: - Ton papa?

F: - Le papa que j'ai maintenant.

...Mon père qui est mort, j'y pense quelquefois, mais ma maman ne veut pas que j'y pense et que j'en parle, et moi, j'essaie, parce qu'autrement, j'y pense même en classe et je n'arrive plus à travailler.

Je lui demande s'il sait comment il est mort.

F: - Pas vraiment. Il l'a fait la nuit et moi j'étais là mais je suis parti le lendemain chez mon parrain.

Je lui renvoie que peut-être il ne veut pas en parler à sa maman parce qu'il sait que cela lui ferait de la peine, mais que, si un jour, il a besoin d'en parler, il pourra le faire ici. Frédéric acquiesce.

Il négocie alors l'heure de sa rééducation.

F: - Ce serait possible que je vienne plutôt à 10 heures? Parce que suis meilleur en maths qu'en français, aussi je préférerais louper les maths que le français. J'ai plus de facilités à rattraper les maths après, que le français où je suis le plus faible.

Il reprend:

- Vous en avez combien des enfants, ici?

Je lui demande la raison de cette question.

F: - Oh, comme ça, pour savoir..

C'est à l'occasion d'un moment dans lequel son angoisse remonte, le submerge, que le garçon peut verbaliser quelque chose de ce qui l'encombre, de ce qui "cause" son agitation, de sa difficulté à faire fonctionner sa pensée, de ce qui est "cause" de ses symptômes. Il m'a semblé que le moment était venu de faire des liens entre son angoisse actuelle et les souvenirs de la mort de son père, puis de l'accident de la mère. En même temps, Frédéric confirme qu'il ne doit pas parler, ni même penser. Sa mère le lui interdit, et lui-même a intériorisé cet interdit, tentant de "mettre un couvercle" sur ces souvenirs. Il "suffit" d'éviter de penser. Fermé à toutes les rencontres possibles avec l'imaginaire culturel, qui peuvent toujours se révéler dangereuses, fermé au sens, il ne peut plus apprendre, il ne peut comprendre ce qu'il lit. Son mouvement permanent est une tentative de s'empêcher de penser. D'où son impossibilité à apprendre, à laisser entrer dans sa tête ce que lui apportent les livres, le maître. Seulement, ces pensées, comme dans une marmite en ébullition, soulèvent par moments le couvercle, et surgissent, à l'improviste, de toutes façons, et de toutes les manières, débordent. Il y a nécessairement, à un moment ou à un autre, évacuation de la tension, et ce, d'autant plus qu'il n'y a pas sublimation 667 .

Il faut noter qu'il a fallu longtemps pour que quelque chose puisse se dire, pour qu'une parole "véritable" émerge.

La négociation de ses horaires (nous envisagerons ensemble les diverses possibilités) semble marquer le début d'une prise en charge de lui-même. Il ne se présente plus comme "un objet" qui subit ce qu'on lui impose ou propose. La négociation des horaires avec l'enfant, est souvent la première étape de cette évolution, dans une prise en charge de soi-même comme sujet responsable et autonome.

Frédéric pose, à ce moment-là, une question sur les autres enfants "rééduquants". Nous avons constaté que cette question, la plupart du temps, indique le passage de l'enfant vers une étape décisive de son processus rééducatif, dans la mesure où elle signe son transfert sur le rééducateur et, dès lors, la possibilité d'exprimer ce qui appartient au monde privé et fantasmatique, et qui obstrue son entrée dans le monde social et scolaire.

Notes
666.

Dans la restitution de l'échange, "F" est Frédéric, "J" la rééducatrice.

667.

Schéma: "Destin" "le plus direct de la pulsion" chapitre VII point 2-1-3, et schéma "Le désir d'apprendre est tout, sauf simple", chapitre VII point 2-4-4.