2-10- "Il pensait tout ailleurs qu'à l'école". Reconnaissance par les partenaires, de la libre circulation de la parole, comme de la possibilité d'expression des sentiments. Frédéric se "re-trouve".

Fin janvier , un entretien réunit alors la mère, Frédéric et la rééducatrice 670 . Frédéric et sa mère ont rencontré le psychologue en vue d'une orientation dans une section agricole de collège. La pension est inévitable, vu l'éloignement. La mère pense que la séparation du frère et de la soeur, qui ont des relations difficiles, sera bénéfique. Elle a un regard positif sur son fils: - Je dis, question d'être bête, il a failli... Je remarque qu'il a vachement mis un bon coup depuis que vous vous en occupez... (sic).

J'évoque le fait que Frédéric avait trop de choses à résoudre dans sa pensée pour pouvoir être disponible pour bien travailler en classe. Ce à quoi la mère répond:- Il avait pas la tête à l'école. Il pensait tout ailleurs qu'à l'école.

J: - ça lui a fait perdre un peu de temps. Il avait d'autres choses à régler avant de pouvoir apprendre. Frédéric m'a dit que vous aviez pu parler ensemble de tout ce qui le préoccupait...

La M: - Voilà. (Elle regarde son fils). Oui, maintenant il a dit que c'était fini et on n'en parlait plus à personne. Il a dit maintenant tu as un autre mari...

(Frédéric se cache le visage dans la jupe de sa mère)

J: - Tu te caches...Cela te gêne encore tant que cela d'en parler?

F: - Non... Frédéric relève le visage, avec un sourire épanoui...Non...

J: - Il y une différence très importante entre ne pas pouvoir parler de quelque chose parce que c'est interdit, et ne pas en parler parce que l'on n'a pas besoin d'en parler...Tu sais que ta maman, maintenant, est heureuse, et peut en parler si tu en as besoin. Tu sais que tu peux lui en parler sans lui faire de mal..

La mère confirme mes paroles à son fils.

Elle évoque ensuite à nouveau son propre accident qui a beaucoup perturbé Frédéric et qui est encore une source d'angoisses pour lui.

J: - Ton inquiétude est restée et tu as peur pour tous ceux que tu aimes.

Frédéric raconte alors qu'il a guetté le bruit du tracteur, la veille, parce que son "père" n'était pas rentré à la nuit.

J: - Cela peut te faire du bien de dire: "Je me suis inquiété pour vous"

La M: - Oui, maintenant, il le dit.

Peut-on prévoir une date pour l'arrêt de la rééducation? A la surprise de sa mère, Frédéric répond alors:- C'est important, il faut que je réfléchisse. J'en parlerai avec ma maman; ça va la semaine prochaine, pour la réponse?

J'approuve sa démarche qui me convient tout à fait.

La mère, avec un regard positif sur son fils , évalue le travail rééducatif. Les autres partenaires de la relation rééducative, en renvoyant ainsi ce qu'ils perçoivent de l'évolution de l'enfant, pratiquent une évaluation externe des effets du processus rééducatif. Cette image, l'enfant la reçoit, et il peut se conforter par rapport au besoin fondamental de reconnaissance de soi par les autres, et d'estime des autres. Par cette voie, son estime de lui-même peut se consolider.

En se cachant le visage, Frédéric semblait retrouver, dans un premier temps, une réaction de fuite devant la parole, qui était la sienne jusque-là. Mais la situation a évolué, la parole a pu circuler à nouveau, et une impression de soulagement se dégage, manifestée par son sourire épanoui. Le "voilà" de la mère, ponctue mes paroles et les confirme en même temps à l'intention de son fils, tout en le regardant. Ce "voilà" entérine la libre circulation de la parole. Dans le même temps, la mère confirme que Frédéric a accepté le beau-père, la place de celui-ci auprès d'elle.

Cet entretien n'avait pas pour objectif de libérer une parole qui s'était déjà dite, mais de la reconnaître comme libre, comme de reconnaître l'importance des sentiments exprimés: peurs devant la mort, devant les accidents. Il s'agissait de pouvoir dire simplement: il y a des ressentis, des sentiments qui existent, il est bon de les reconnaître, de pouvoir se les dire, de les regarder en face pour les accepter et avoir une possibilité d'action sur eux, plutôt que de se cacher la face, serait-ce " dans la jupe de sa mère" ...

Frédéric semble avoir beaucoup évolué, parce qu'à présent il peut affronter ses ressentis, ses sentiments, comme des éprouvés qui lui appartiennent, alors qu'au début de nos rencontres, il ne pouvait même pas les évoquer. Il fuyait, et construisait des défenses rigides pour tenter de ne pas les voir. Il peut dire à présent: "J'ai eu peur, je me suis inquiété", comme sa mère le rapporte ici. Il se (re)trouve , comme une personne "totale".

Notes
670.

Dans le dialogue, la mère est " La M", Frédéric, "F", la rééducatrice "J".