Comment rendre compte des effets de la rééducation? La question de l'évaluation: un paradigme probabiliste.

Des constats peuvent être faits: il y a bien évolution du processus rééducatif. L'enfant semble "avoir changé de place" par rapport à ses symptômes, et dans le meilleur des cas, une dynamique le pousse à s'inscrire dans les apprentissages. Celle-ci se manifeste par l'intérêt, nouveau, qu'il porte aux activités de la classe. (Il est bien entendu que nous nous plaçons ici, dans le cas où il y a bien eu évolution).

Avoir défini les objectifs de son action, avoir clarifié un certain nombre d'indicateurs du désir d'apprendre chez l'enfant, de son intérêt porté aux activités scolaires, de sa capacité à nouer des relations sociales symbolisées, donne au praticien des éléments de compréhension de ce qui se joue, et des repères, quant à l'évolution du processus rééducatif et de l'enfant lui-même. Le travail d'analyse dans "l'après-coup" des séances, seul ou en groupe de contrôle, permet au rééducateur de clarifier où il en est de sa relation avec l'enfant, et de son propre transfert.

Un paradigme probabiliste, quant aux rapports entre une proposition et ses effets, est le seul valide ici. Il laisse une large place à l'incertitude. De nombreux facteurs interfèrent, et la situation rééducative ne présente pas les "conditions d'expérience" du laboratoire. Affirmer d'une façon certaine que telles causes ont produit tels effets, pourrait relever de désirs mégalomaniaques, ou de fantasmes de toute-puissance. Il nous faut par ailleurs différencier, ce qui pourrait être un lien direct entre une proposition de l'adulte et un effet chez l'enfant, dans une production ou élaboration faite en rééducation, de ce que l'enfant construit ensuite, à partir de cette même élaboration, et qu'il transfère, en classe.

S'agit-il donc d'évaluation? Ne serait-il pas plus approprié de parler de "moyens de se donner des repères", des indicateurs, en ce qui concerne l'évolution du processus rééducatif, d'une part, et ce qui est relatif au développement de l'enfant, d'autre part? Quant à "l'enfant-rééduquant", si la responsabilité de sa construction lui est restituée, il devient de ce fait, maître de l'évaluation de son travail rééducatif. La position éthique, qui considère l'enfant comme un sujet, interdit au rééducateur de faire de l'enfant un sujet d'observation, d'évaluation.

L'évaluation des "effets thérapeutiques", peut être réalisée par la constatation de la disparition de symptômes devenus inutiles. Celle des "effets pédagogiques" tient à l'intérêt que porte l'enfant envers les activités d'apprentissage de la classe. "L'évaluation externe", ou ce qui est souvent considéré comme tel, est le fait des parents, de l'enseignant, qui renvoient, par le changement de leur regard sur l'enfant, des messages qui le confortent dans son évolution, dans sa personne, dans ses productions. Nous avons eu l'occasion d'en noter les effets directs sur la restauration narcissique de l'enfant, lors de la restitution de nos rencontres cliniques.

Il nous faut mettre en regard le Modèle "explicatif" de la rééducation (3), qui analysait les différents pôles de la praxis rééducative dans ses propositions à l'enfant 674 , et le Modèle de la rééducation: "Qu'est-ce qui est rééducatif?" 675 , que nous sommes parvenus à dégager, à partir de "l'analyse des cas". Quelles constatations peut-on faire? 676 Il apparaît que:

L'institutionnalisation de la rééducation avec les partenaires éducatifs, permet à l'espace rééducatif d'occuper une position "d'entre-deux" entre les problèmes de la maison et ceux de l'école, favorisant leur émergence, et leur élaboration. Elle permet au rééducateur de pouvoir tenir la fonction de tiers , qui, à la fois, sépare et relie, entre ces différents espaces de vie de l'enfant. Elle symbolise le changement de place du rééducateur par rapport à l'enseignant, tout en signifiant symboliquement la place des parents.

L'inscription symbolique de l'espace rééducatif dans l'école, situe celui-ci en écart des contraintes et des exigences de la classe et du collectif, créant un effet de rupture propice à l'expression des préoccupations de l'enfant. Cette inscription, en créant des liens entre ces espaces et les partenaires éducatifs, est la condition pour que ne soient pas perdus de vue les objectifs de la rééducation: aider l'enfant à devenir un écolier et un élève , et pour que s'instaure une collaboration en partenariat , respectant des places et des fonctions différentes.

Le cadre rééducatif, dont le rééducateur fait partie et dont il se porte garant, mis en place par l'adulte et proposé à l'enfant, offre à ce dernier, en se référant à du symbolique , la sécurité et la protection nécessaires à son expression. Sa fonction contenante, la fonction conteneur du rééducateur, les fonctions symbolique, limitative, différenciatrice, incitatrice et symboligène, du cadre, deviennent structurantes , lorsque l'enfant les intériorise. Celui-ci construit alors pour lui-même, un pare-excitation par rapport à l'expression de ses pulsions, un espace mental privé et un accompagnement interne , nécessaires pour se séparer de sa famille, nécessaires à son entrée dans la culture, dans la collectivité et les apprentissages.

Le projet rééducatif , en proposant "une transaction rééducative" à l'enfant, dans "un détour" par rapport aux apprentissages et/ou aux symptômes, en offrant un espace de parole et de représentation , un "faire-semblant" sur une scène symbolique, inaugure cet écart avec l'espace de la classe. Les médiations offertes, supports de l'expression et de la parole de l'enfant, se situent nettement en rupture avec les médiations de la classe, centrées sur les apprentissages. En proposant une alliance avec un adulte, dans ce travail de représentation et de symbolisation, ce projet situe le rééducateur à une place radicalement "autre" de celle de l'enseignant. Lorsque l'enfant parvient à se saisir de ce projet, à le faire sien, il "fait alliance" et construit une aire de transitionnalité dans laquelle il élabore ses conflits et ses angoisses, espace potentiel dans lequel vont pouvoir se construire et devenir "opérants": l'objet transitionnel, le cadre, les différentes médiations et productions créées en commun, la parole échangée, l'imaginaire culturel que l'enfant s'approprie, comme objets tiers, prémices de l'objet culturel. Par son appropriation des ressources de l'inscription par l'écrit, par la découverte des ressources de l'imaginaire culturel, l'enfant fait porter son intérêt, vers le monde culturel. Ces constructions successives permettent que s'élaborent le désir d'apprendre de l'enfant.

La modalité spécifique d'intervention, sous la forme d'une rencontre singulière avec l'enfant , régie par un cadre et un contrat spécifiques , favorisel'instauration des processus transférentiels . Elle permet à l'enfant d'exprimer et de représenter sans danger, sans effets sur la réalité , au sein d'une relation "suffisamment bonne", et sous forme de "mises en scènes" issues de ses fantasmes, des manifestations pulsionnelles, des angoisses et des désirs, non compatibles avec les contraintes et les règles de la vie collective. Elle lui permet de vivre des positions régressives, de répéter en les revivant, pour les élaborer , des émotions sur lesquelles il n'y a pas eu de mots, ou, quelquefois, pas d'images, de les partager et de mettre des mots . Elle permet ainsi à l'enfant de faire face au surgissement du réel du corps et des pulsions, en articulant imaginaire et symbolique, condition fondamentale pour pouvoir disposer de la richesse de ces trois registres. Elle favorise, de ce fait, par l' étayage apporté aux " capacités d'auto-réparation " de l'enfant, "l'ajustement des conduites émotionnelles, corporelles" 677 . Elle lui permet d'explorer, d'expérimenter et de construire , des places et des positions différentes, avec et sur l'adulte, dans la relation, de les élaborer, de les assumer, de dépasser des positions et des conduites inappropriées . Elle permet à l'enfant de réajuster, en les vivant avec et sur son rééducateur , ses modes de relation au monde, aux objets et à lui-même . Les conditions d'une rencontre singulière permettent à l'enfant de transformer en les élaborant symboliquement, des événements subits, incompréhensibles, sous la forme de "petites histoires" ou " mythes " qui prennent sens, qui se "re-construisent", s'organisent, en un récit 678 dans lequel il peut se retrouver, se repérer .

La rencontre singulière est la condition d'une écoute individualisée de la part de l'adulte, au plus près des préoccupations de l'enfant, de ce qui l'encombre pour devenir un écolier et un élève. Elle permet que s'exercent les fonctions contenante et conteneur, du rééducateur. Elle est la condition d'un accompagnement par un ajustement des demandes de cet adulte, de ses invitations et de ses incitations, au plus près de ce que l'enfant est capable de faire, à un moment donné. Elle protège des pressions et des exigences inhérentes au groupe. Elle suscite le changement de place du rééducateur , par rapport au maître de la classe, aux parents, mais aussi à l'enfant, par le fait de lui restituer son savoir sur lui-même. Elle favorise, d'une manière privilégiée, la satisfaction des besoins fondamentaux de celui-ci 679 , dont fait partie la restauration de l'estime de soi. 680 Elle peut être support d'identifications secondaires . Elle permet à l'enfant de ( re)construire les capacités préalables, le substrat nécessaire à son inscription dans la collectivité scolaire et les apprentissages 681 .

Quelles informations complémentaires offre le "Modèle de la rééducation (4)"?

Nous pouvons constater que c'est bien l'enfant qui fait SA rééducation, à son rythme. Le rééducateur contient, propose ses mots, invite, incite, stimule, encourage, pose des limites, accompagne, et témoigne de son propre engagement dans le symbolique et dans la culture. C'est l'enfant qui apporte les matériaux qu'il va répéter, puis reconstruire, au moment où cela lui est nécessaire. 682

L'analyse, même incomplète, du parcours rééducatif des enfants rencontrés ici dans cette troisième partie, par des recoupements entre ce que chacun d'eux a élaboré, nous permet de tenter de relever différentes phases, dans ce processus. Il est bien évident que, dans la réalité, les choses sont complexes et intriquées, moins clairement délimitées, et qu'une recherche de simplification, toujours nécessaire dans un exposé, et d'autant plus dans une synthèse qui se donne comme objectif de dégager un "modèle" général, ne peut que rendre compte d'une manière approximative, de chacun des processus singuliers, et le trahir. Le retour aux analyses des processus individuels des enfants, avec leurs parcours spécifiques, leurs avancées, leurs stagnations et leurs "retours en arrière", permet de mesurer l'écart entre la synthèse réalisée et chacun d'eux pris séparément. Nous tenterons cependant la gageure, ces réserves étant faites.

Notes
674.

Présenté en fin de chapitre IX.

675.

Présenté page précédente.

676.

Nous différencions, par deux présentations différentes, ce qui est proposition issue du "modèle rééducatif (3)", (gras, souligné) et ce qu'il en des effets, relevés à partir du "Modèle rééducatif (4)" (italique, gras).

677.

Un des objectifs assignés à la rééducation, dans le texte officiel de 1990, " Mise en place et organisation des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté".

678.

Nous utilisons toujours le mot "récit" dans le sens d'une histoire inscrite dans le temps.

679.

Nous les avons repérés dans notre deuxième partie.

680.

Autre objectif assigné à la rééducation, dans le même texte officiel de 1990.

681.

Nous les avons également recherchés, dans notre deuxième partie.

682.

Ce qui exclut une démarche d'anamnèse, calquée sur le modèle médical.