Un processus créatif.

  1. Il semble qu'une première période corresponde à l'instauration de la confiance de l'enfant dans le cadre et la relation rééducatives, dans une reconnaissance de la différence du lieu rééducatif, de la séparation de celui-ci, par rapport à ses autres lieux de vie. Le changement de place du rééducateur, son abandon d'une position de maîtrise sur le processus de l'enfant, invite celui-ci à "poser" ses problèmes, ses questions, sous différentes formes, et à expérimenter les médiations qui lui sont offertes, afin de se déterminer pour celles qui lui conviennent, globalement, le mieux. L'enfant place alors le rééducateur dans une position imaginaire, sur le modèle d'une relation duelle, symbiotique, à sa mère, relation dans laquelle il restaure un substrat narcissique "suffisamment bon".
  2. L'enfant fait l'expérience du principe de réalité, de l'altérité. Le rééducateur ne répond pas toujours, le cadre n'est pas "idéalement contenant". Un écart, une brèche, se produisent au sein de cette relation imaginaire. Unchangement de place du rééducateur, permet qu'il y ait acte rééducatif.
  3. Une crise s'ensuit, au cours de laquelle le transfert s'instaure. Le rééducateur change de place, se décale, par rapport au transfert. L'enfant change de place à son tour dans la relation. Il prend la position d'un sujet inscrit dans une relation symbolique, et place le rééducateur dans une position de "Sujet-supposé-savoir". Le transfert favorise l'émergence, la réactualisation et la répétition de positions régressives, de manifestations pulsionnelles, de l'expression des fantasmes, des angoisses, des conflits internes non résolus. La rencontre de l'altérité, des limites, de la faille, engendre des vécus de castration, de dépression. "Il faut déprimer ensemble pour commencer à élaborer quelque chose ensemble", avance René DIATKINE. Conférence au Groupe Lyonnais de psychanalyse (1987). Nous pourrions y reconnaître la "phase de désillusion", décrite par WINNICOTT, nommée encore période de crise, d'isolement, par René KAES(1979). Cette période est marquée par la rencontre des premières séparations, des déliaisons, des clivages, des atteintes narcissiques, du doute de soi-même et de la mise en doute du monde, du deuil des premières identifications. C'est une phase, éventuellement, de dépréciation et de dépression, qui marque une hésitation entre impuissance, perdition, fuite du conflit, évacuation, refoulement, ou son élaboration. En s'inscrivant dans une implication subjective par rapport à son processus rééducatif, l'enfant peut désormais "faire alliance" avec le rééducateur, pour surmonter la crise. L'adulte, d'abord témoin, adresse du jeu de l'enfant, est invité à partager ce jeu, à échanger.
  4. Une phase fondamentale de tâtonnement expérimental s'ouvre alors pour l'enfant. Un "espace potentiel" (WINNICOTT, 1971), d'échange et de création se constitue, ou "espace transitionnel...entre rupture et suture" (KAES, 1979, p. 2) "entre rupture et continuité" (id.), espace intermédiaire, "instance d'articulation de la différence" (ibid., p. 11), espace "trouvé-créé" (WINNICOTT, 1971).Dans une relation symbolisée, triangulaire, le troisième pôle peut être occupé par la médiation. Un objet tiers médiatise la relation. La parole fait exister l'absent, le maître, les parents, la fratrie ou les copains. Ce peuvent être également l'histoire lue ou inventée, le jeu symbolique, la trace. Au sein de la relation, l'enfant expérimente, reconstruit, réorganise, joue et rejoue ce qui le préoccupe. Il devient actif, et conquiert la responsabilité de ce qu'il vit et met en place, tout en s'inscrivant dans une recherche identitaire. Des positions "régressives" sont fréquentes. Elle peuvent être la manifestation de la mise en œuvre par l'enfant de ses "processus d'auto-réparation". Les tensions pulsionnelles, l'angoisse, émergent. Cette période est souvent mouvementée, difficile. La pulsion s'y exprime, sous toutes ses formes, et d'une manière plus ou moins conflictuelle, désordonnée, avant de pouvoir être "assagie", et avant que son énergie puisse être utilisée autrement que par le symptôme. Pour constituer cette "troisième voie", ou voie intermédiaire, deux pôles s'affrontent: celui de la recherche d'un retour à l'identique, au "même", à l'illusion, à la fusion, à la confusion, et celui des désillusions apportées par la constatation de l'impossibilité d'un "Tout" comblant, qui répondrait à toutes les attentes, à tous les fantasmes. Ce que WINNICOTT (1971) nomme "la capacité à s'illusionner", correspond à l'acceptation progressive de la castration, du deuil de la toute puissance, de la prise de conscience de ses propres limites. Elle constitue, pour le sujet, sa capacité à créer du sens, dans une activité psychique de "re-liaison", entre image et parole, éprouvé, affect et sentiment, processus primaires et processus secondaires, entre les différents registres psychiques, entre son inconscient et son histoire, entre soi et le monde. Cette phase marque le passage du Moi Idéal à l'Idéal du Moi, de la fusion à la défusion, ou "séparation", de "l'illusion" à une "désillusion" acceptée, assumée. La représentation, les "mises en scènes" imaginaires se marquent des processus secondaires, du principe de réalité et du symbolique. C'est la remise en route des processus créatifs. Le support de la trace, de l'écrit du rééducateur puis de l'enfant, constituent une "mémoire" du processus rééducatif, et des repères pour l'enfant dans la construction de lui-même. L'enfant symbolise sa division de sujet, et les processus de séparation. Il évolue vers l'autonomie. Ces "tâtonnements" conduisent l'enfant à accepter les tensions nées de l'écart. Ils sont une "interrogation sur le lien certes, mais en traversant sa désillusion et sa déliaison, à travers sa réinvention." (KAES, 1979, V), "interrogation elle-même inventée, trouvée-créée, dirait WINNICOTT, dans le cadre d'une pratique."(id.). Il s'agit de retisser des liens rompus, mais des liens soumis aux lois symboliques. Ces tâtonnements comprennent une recherche d'identifications secondaires, d'intégrations choisies, de choix de modèles, souvent autres que les premiers modèles, en lien avec l'Idéal du Moi, c'est-à-dire en lien avec ce que l'on voudrait être, ce que l'on voudrait devenir, en accord avec le Surmoi, c'est à dire avec les valeurs morales et éthiques que l'on a choisies. Le rééducateur, qui va être mis peu à peu en position de "ressource", peut constituer un support identificatoire transitoire. Cette interrogation sur les liens correspond pour l'enfant à la phase d'élaboration de sa névrose infantile, processus normal mais délicat, laborieux, dont dépend la "normalité" de son psychisme ultérieur. Cette névrose représente la construction singulière dont le sujet ordonne son désir, en tenant compte du principe de réalité et de la castration, dans le dépassement du conflit oedipien, dépassement nécessaire à son entrée dans le monde culturel scolaire et à l'établissement de liens sociaux symbolisés, sur un fond d'altérité, de séparation. Une "troisième voie" se construit, ni en adhésion-fusion, ni en rupture radicale par rapport aux anciens modèles, mais suffisamment en écart, dans une articulation symbolisée de l'histoire du sujet avec le monde social et culturel dans lequel il doit se faire une place, s'intégrer. Le tâtonnement aboutit à la construction d'une identité séparée des premières identifications et des premières aliénations, à l'émergence d'un sujet , situé dans son désir, dégagé, "séparé" du désir de l'Autre, inscrit dans les lois humaines culturelles et sociales. (LACAN) . Le "JE" peut advenir (AULAGNIER, 1975), se construire, élaborer un "contrat narcissique" avec l'entourage et un "projet identificatoire" dans lequel se conjuguera le futur, conditions nécessaires pour s'inscrire culturellement et socialement. L'enfant "va mieux". Son imaginaire n'est plus éprouvé comme dangereux, et il s'enrichit des apports de l'imaginaire culturel. L'enfant élabore et dépasse ses préoccupations, en donnant du sens aux différents événements de sa vie, dans une histoire reconstruite, qui articule le réel, l'imaginaire et se soumet au fonctionnement du symbolique et des processus secondaires. L'inscription de cette histoire dans le temps, permet à l'enfant de se repérer, de s'y RE-TROUVERet de s'en distancier, favorisant ainsi les processus de sublimation et l'investissement dans le culturel.
  5. L'objet tiers de la relation rééducative, doit pouvoir, peu à peu, donner place à l'objet culturel partagé, et la relation doit pouvoir s'ouvrir sur l'extérieur. L'énergie libérée devient ainsi disponible pour pouvoir être investie dans les apprentissages. L'enfant a retrouvé le plaisir de faire fonctionner sa pensée, avec une souplesse indispensable aux apprentissages. Le plaisir né d'une prise de pouvoir sur les événements de son histoire, parce qu'ils sont mieux compris, le plaisir éprouvé à mieux se comprendre, à maîtriser ses pulsions, à se sentir responsable de leur expression, à mieux se situer dans la relation aux autres, aux objets et à soi-même, ont comme conséquence une estime de soi et une reprise de la confiance en soi nécessaires pour affronter les obstacles inévitables que présente tout apprentissage. L'enfant se (re)trouve dans une identité d'enfant-écolier- élève.

Nous pouvons remarquer que les différentes périodes que traverse l'enfant dans son processus rééducatif, s'apparentent aux différentes phases d'un processus créatif , telles que WINNICOTT (1971), ou KAES et al.(1979) les ont décrites 684 . Nous y avons ajouté ici, une cinquième phase qui annonce la fin prochaine du processus rééducatif , parce qu'il n'est plus nécessaire. Cette dernière phase doit donc permettre l'élaboration de cette nouvelle séparation, et préparer le deuil de la relation. Au déroulement de ce processus rééducatif de l'enfant , processus créatif, correspond un étayage par l'adulte qui, en fin de rééducation, prévoit un désétayage progressif.

Notes
684.

Nous les avons reprises dans la conclusion de la première partie de cette recherche. A la différence de WINNICOTT, nous comptons comme une troisième phase, très courte, mais décisive, celle de l'écart, de la rupture.