Sur quels points particuliers pouvons-nous voir se rejoindre psychanalyse, psychologie et pédagogie, et quelles sont les implications de l'articulation des apports de ces différents champs, dans la pratique rééducative?

PIAGET, qui a apporté une connaissance concernant la construction des capacités cognitives de l'enfant, WALLON, qui a insisté sur un développement global de l'enfant qui intrique sans séparation possible l'émotivité et ses accroches corporelles, l'affectivité et la construction de l'intelligence, VYGOTSKY, qui à son tour, et dans le même sens que WALLON, a précisé par quels processus l'enfant se construit en interaction avec les autres, dans le lien social, apportent des ancrages théoriques fondamentaux à celui qui se confronte à un enfant en difficulté d'apprentissage, mais aussi en difficulté d'inscription sociale et culturelle.

La théorie psychanalytique indique et étaye des positionnements possibles, au sein de la rencontre, éclaire et permet de mieux comprendre ce qui se joue pour l'enfant au cours du processus rééducatif et dans la relation. Par des voies différentes, la psychanalyse vient étayer, renforcer, les positions fondamentales mises en avant par les psychologues comme WALLON ou par un grand nombre de pédagogues, confrontés aux difficultés de développement de l'enfant, à ses difficultés dans ses relations au monde. Les rééducateurs ont acquis une expérience clinique qui leur a fait construire des principes d'action, et une théorisation de leur pratique qui intègre et prend en compte un certain nombre de ces dimensions. Nous les avons analysés précisément, nous en rappellerons succinctement un certain nombre ici, en mettant en regard la synthèse qui a été faite des apports des pédagogues que nous avons surnommés "de la marge" 687

  1. L'éducation ne doit exclure aucun enfant. Elle a comme mission de développer le potentiel de chacun, en allant au-devant de lui, "là où il en est". Tout enfant a droit au respect, et à un accompagnement dans la résolution de ses difficultés.
  2. Il est nécessaire de considérer la globalité et la complexité du développement de l'enfant et de ses relations au monde, de ne pas séparer affectif et intelligence qui sont un tout indivisible, ce que les pédagogues n'ont cessé de répéter depuis COMENIUS. L'enfant se construit à travers le jeu. L'enfant a besoin de faire des liens, entre le monde de l'école et le monde "privé" de la maison familiale, dans une reconstruction permanente de son expérience.
  3. On ne peut forcer l'élève à apprendre. Seuls son désir de "savoir", de "connaître", peuvent l'inciter à entrer dans une activité qui lui permettra de construire ses apprentissages.
  4. La pensée se construit, et la parole est un outil fondamental de sa construction.
  5. Le lien entre l'activité de l'enfant et son intérêt, son désir d'aller vers les choses afin de les maîtriser, y compris par la maîtrise intellectuelle, dépend de la confiance en ses propres capacités, et en celles de l'autre. ROUSSEAU, ou des pédagogues comme ITARD, FRÖBEL, etc... l'avaient mis en évidence.
  6. L'homme ne devient pas Homme sans la stimulation de l'environnement. Les attentes, les représentations que les adultes se construisent sur l'enfant, influencent de manière décisive les représentations que l'enfant élabore sur lui-même, sur la construction de son image sociale, et celle de son Moi dans ses différentes dimensions. La dimension affective de la relation adulte-enfant, est un facteur décisif du développement de l'enfant.
  7. L'image de soi détermine les capacités d'investissement du sujet dans la culture et dans les liens sociaux. Il est nécessaire de se connaître, pour aller vers les autres.
  8. Il n'y a pas, par nature, "d'enfant difficile", comme le disait déjà MAKARENKO. Un parcours difficile est à effectuer pour l'enfant, afin de se séparer du monde familial et des premières attaches, pour aller dans le monde socialisé de l'école. Ce parcours peut être rendu plus difficile pour certains, présenter plus d'obstacles à franchir, sans que cette difficulté puisse être considérée comme pathologique. En considérant la difficulté de l'enfant comme pouvant être normale dans la majorité des cas rencontrés à l'école, cette difficulté peut être différenciée du handicap avéré et appelle d'autres réponses. Une marge, fragile et productrice d'angoisse, est délimitée, celle où les enfants, non encore exclus, mais menacés de l'être, vivent l'insécurité de leur position. C'est dans cette marge et pour ces enfants que les rééducateurs seront appelés à intervenir.
  9. Il est nécessaire, en conséquence, de ne pas médicaliser les difficultés de l'enfant lorsque cela n'est pas indispensable. L'enfant est un être en pleine évolution et une personne en construction. Tout enfant possède en lui une force de croissance et des capacités "d'auto-réparation".
  10. Cette difficulté peut être entendue comme un symptôme, seule manière, inadaptée, que le sujet a trouvée pour faire entendre quelque chose de son désir. Lui seul sait ce qui est bon pour lui. Le savoir sur lui-même est restitué au sujet. De ce fait, le pédagogue change de place par rapport à l'enfant.
  11. Le sujet est mu et se construit avec son inconscient. L'être humain est un être de langage. Il est nécessaire de tenir compte de la causalité psychique des symptômes et de savoir que la parole a des effets. La plupart du temps des "causes affectives" sont à l'origine des difficultés de l'enfant.

Retrouver ces mêmes concepts par tant de voix différentes, comme dans "un fil d'Ariane" de la "pensée de l'écart", est à la fois "ré-ancrage", étayage et confirmation de la pensée des pédagogues d'aujourd'hui, qui s'affrontent aux mêmes problèmes, enseignants spécialisés ou non, rééducateurs ou maîtres "ordinaires".

Dès lors, la théorisation de la pratique rééducative consiste à concevoir un cadre rééducatif spécifique, à clarifier le positionnement de l'adulte dans la relation à l'enfant, entendue comme une rencontre avec un sujet responsable de la mise en place de ses réussites, de ses symptômes et de leur résolution. Compte tenu de toutes les dimensions connues et supputées de la difficulté de l'enfant, toute aide doit partir du sujet, de ses besoins, de ses ressources, et non du symptôme. Pour que l'enfant s'affirme comme sujet "séparé", autonome, capable de "s'auto-réparer" et "d'auto-reconstruire" son histoire et ses capacités, nous avons pu mettre en évidence l'importance, pour le rééducateur, de "changer de place" dans l'école, et par rapport à l'enfant. Ce changement de place se traduit par l'accompagnement de cet enfant dans sa construction, dans le respect de son cheminement singulier. Il consiste en un "bricolage" subtil entre ce que l'adulte tient à "ne pas lâcher", et ce qu'il lui est nécessaire de lâcher, entre "une prise" et un "lâcher prise", pour que le processus de l'enfant puisse se drouler.. L'adulte se propose pour écouter l'enfant, et pour l'aider à développer ses capacités d'expression, de symbolisation, et de communication, afin de dépasser ses difficultés et afin de SE découvrir lui-même. Il s'agit dès lors de faciliter l'expression de l'enfant sous toutes ses formes, de redonner ses lettres de noblesse au jeu comme activité représentative et symbolique, rejoignant ainsi les convictions et propositions des pédagogues "de la marge", comme nous les avons nommés, ou "en marge" du système, depuis FRÖBEL.

Il est nécessaire de se connaître pour pouvoir aller vers les autres, disait en substance COMENIUS au XVIIème siècle, il est nécessaire de ‘ "faire oeuvre de soi-même" ’, avançait PESTALOZZI au XVIIIème siècle, ce que WINNICOTT (1971), formule à son tour par la nécessité pour le sujet de réaliser une ‘ "création vivante de soi", afin de pouvoir créer des liens, afin de pouvoir s'inscrire dans la société et dans la culture, afin de pouvoir entrer dans les apprentissages. Cette élaboration de soi-même, est le résultat d'un processus plus ou moins laborieux, mais commun, banal, au sens d'ordinaire, partagé; passage obligé pour quitter l'attachement exclusif au monde de la famille, et pour accéder au monde culturel et social.

De ce fait, la rééducation situe ses propositions à l'enfant dans un "entre-deux", sur le chemin qui mène celui-ci de la maison familiale à l'école, à l'articulation entre des appartenances différentes entre lesquelles, justement, cet enfant ne parvient pas à créer des liens, entre lesquelles il se perd lui-même, ne parvenant pas à se construire en un récit qui donnerait sens à son histoire personnelle.

"Faire oeuvre de soi-même", "faire création de soi-même en construisant son histoire", c'est ce que propose la rencontre rééducative d'aujourd'hui à l'enfant en difficulté à l'école, en refus ou en impossibilité d'apprendre, afin de dépasser ses contradictions internes en se (re)trouvant dans son histoire, afin de pouvoir aller vers les autres dans des relations sociales symbolisées, afin de parvenir à entrer dans les apprentissages, et afin de disposer des capacités nécessaires pour s'y inscrire.

En instituant la rééducation dans le lieu de l'école dans un lien symbolisé, en instituant le processus rééducatif avec l'enfant sur un cadre et un contrat qui instaurent du tiers dans la relation, en s'offrant à l'enfant comme partenaire symbolique et non comme égal, le rééducateur offre la possibilité à l'enfant de construire les bases symboliques de sa relation au monde. La symbolisation de cette relation est rendue possible par;

  • la non-confusion des fonctions et des places;
  • l'instauration d'une relation basée sur la séparation, sur l'écart, sur des règles sociales. Sa référence à l'objet tiers absent, dont on parle: les parents, le maître, les apprentissages, les relations sociales. Ce peut être le cadre, le contrat, auxquels les deux partenaires sont soumis, l'objet tiers culturel que le rééducateur fait exister dans le cheminement des séances;
  • une relation fondée et se structurant par la parole. Cette parole est un échange entre les partenaires du processus rééducatif. Elle peut être restitution du discours qui concerne l'enfant, sans jugement, sans parti pris, invitant l'enfant à se positionner quant à ces mots qui le définissent de l'extérieur.

L'enfant peut vivre, mettre à l'épreuve et se situer ainsi dans une relation humaine régie par les lois symboliques de la différence des sexes, de la différences de parenté, de la différence des générations et de l'interdit de l'inceste.

C'est au sein de la rencontre clinique que nous avons mis à l'épreuve les propositions rééducatives afin d'en vérifier la pertinence, par ses effets, en réponse à la question: "Qu'est-ce qui est rééducatif?"

Notes
687.

Le fil d'Ariane de la pédagogie "de la marge", de la pédagogie "des limites"..., chapitre III, point 4.