Un enfant (re)présente et (re)construit son histoire.

Lorsqu'un enfant dispose de l'initiative qui lui est nécessaire, d'un espace et d'un temps qui lui sont réservés, dans un cadre symbolique et fiable, permanent, qui lui assure la sécurité indispensable, il joue et rejoue les mêmes scènes, les mêmes questions, en lien avec les événements de sa vie, en relation avec les conflits qu'il traverse. Il inclut ou non le rééducateur dans son jeu, il le fait témoin de celui-ci, ou le lui adresse: "Regarde!". Il fait varier les places, les rôles, les représentations, les réponses, dans une sorte de "tâtonnement expérimental", que l'on pourrait rapprocher de celui que décrivait Célestin FREINET, à propos de l'enfant construisant ses connaissances. Puis, un jour, il change de question, va ailleurs. Cette question le situe lui-même, "en avant", ou "en arrière", si l'on se référait à une conception linéaire du développement, mais en tous cas il s'avère qu'il est "un peu plus loin" dans sa recherche. Il apparaît que cet enfant construit peu à peu une histoire, la sienne, et qu'il tente de lui (re)donner du sens, en la revivant, là, par bribes, en présence et avec le rééducateur.

Petit à petit, cet enfant s'intéresse à ce qu'écrit le rééducateur sur sa feuille, à propos de ce qui se passe dans le temps rééducatif, et il suggère, propose, s'inquiète, jusqu'à lui dicter ce qu'il convient d'écrire et, donc, de conserver par cette trace. Il demande à écrire son nom, puis des mots, des phrases, puis enfin l'histoire tout entière, selon ses possibilités, sous son dessin. Après en avoir écouté, il demande à lire une histoire à son tour, tout seul, dans un livre...

Son enseignante, un jour, à la récréation, renvoie au rééducateur: "Tiens, cela va mieux en ce moment. Jérôme essaie de faire quelque chose, et commence à s'intéresser à ce qui se passe en classe..." "Jérôme" raconte au rééducateur qu'il se fait des copains, qu'on ne le bat plus toujours, ou qu'il se bagarre moins...

Il semble que les symptômes de l'enfant tombent peu à peu, et qu'ils sont remplacés par des comportements plus ajustés à ce que l'école attend de lui, des comportements et des attitudes plus appropriés à le rendre heureux. Il semble qu'il ait remanié, dans la sécurité du cadre rééducatif, et dans un espace-temps dont lui seul impose le rythme, sa manière symptomatique d'être au monde et à l'école, et qu'il soit capable de (re)trouver une place et une identité "d'enfant-élève-écolier". Des investissements culturels semblent d'être amorcés en rééducation, lorsque, timidement, il écrivait un mot, lisait une phrase, ou retrouvait, avec jubilation, quelque chose de son histoire, dans une autre histoire, écrite dans un livre, celle-là. Certains enfants "grandissent" physiquement en séance, comme Joffrey que j'ai vu un jour "s'ouvrir" littéralement au cours d'une rencontre, c'est-à-dire reculer les épaules, ouvrir la poitrine, et respirer amplement, se tenir plus droit. Il semble que l'enfant (re)trouve une énergie qui semblait tout entière mobilisée dans le maintien de son symptôme...

On peut constater, dans le meilleur des cas, la disparition progressive des symptômes de l'enfant. On peut penser que, l'enfant, se sentant entendu, disposant de l'espace et du temps nécessaire pour rechercher, dans la répétition et le tâtonnement, d'autres solutions que le symptôme, celui-ci est devenu inutile. La disparition du symptôme libère l'énergie que son maintien mobilisait, et cette énergie se trouve à nouveau disponible pour s'investir dans les objets d'apprentissage, dans un processus de sublimation. Il sera peut-être alors nécessaire d'aider encore l'enfant, mais sous une autre forme. L'enseignant de la classe, ou le maître spécialisé de l'aide à dominante pédagogique, pourront "prendre le relais", peut-être, avec un enfant, cette fois, disponible pour apprendre...

Miracle? Non, sans doute pas. Un "travail" s'est réalisé, dont l'enfant a été le maître d'œuvre. Le rééducateur n'a pas tout compris. Peu importe. Il est surpris, bien souvent, et s'interroge, partageant la surprise de l'enfant, qui ne croyait pas "y arriver". Là aussi, l'adulte doit savoir "lâcher" beaucoup de son désir de maîtrise, de son désir d'emprise sur l'autre, qui le pousserait à tout savoir, à tout comprendre...Que s'est-il passé?

Si nous avions comparé, dans leurs différentes dimensions, aide rééducative et aides pédagogiques, il était nécessaire de reprendre, en une synthèse, ce qui différencie une psychothérapie, considérée comme du soin, et une rééducation 688 .

La rencontre clinique avec l'enfant, nous permet de vérifier que la praxis rééducative, dans sa conception, semble pouvoir répondre aux besoins spécifiques de l'enfant auquel est proposé cette forme d'aide. C'est par l'exercice de sa parole que le sujet peut se reconnaître séparé, autonome, capable de nouer des liens sociaux d'un autre registre qu'imaginaire et fusionnel. La rééducation se donne pour objectif de restituer à l'enfant une parole symbolisée, alors que ses modes d'expression se sont englués souvent dans des modes imaginaires. Le rééducateur va proposer à l'enfant de jouer tout ce qu'il ne peut dire encore ou qu'il a peur de dire lorsque, non dégagé de la croyance en la pensée magique du jeune enfant, il est persuadé que dire équivaut à ce que les choses se réalisent. Cette pensée est liée à la toute-puissance imaginaire mais recèle une grande quantité d'angoisse. L'enfant peut ainsi expérimenter, dans la sécurité du cadre rééducatif, que ce qu'il a joué, représenté, dit, n'a pas eu d'effets dans la réalité. Il peut ainsi progressivement séparer imaginaire et réel, par l'intervention du symbolique, en jouant, en représentant de diverses manières son récit, en le verbalisant, en le faisant passer par la trace écrite, dessin ou écriture de l'histoire par la main du rééducateur ou par lui-même. Les médiations sont proposées en fonction de leur possibilité de favoriser, stimuler l'expression de ce qui préoccupe l'enfant, l'expression de son imaginaire et de ses capacités de symbolisation, ses ressources créatives. La parole est distanciation par rapport aux affects, aux émotions.

C'est par la mise en mots sur ses affects, ses émotions, ses questions, par le cadrage de l'imaginaire par le symbolique, que l'enfant va accepter sa division de sujet et les effets de cette division, accepter ce qu'il peut ou ne peut pas faire, ou ce qui lui est permis ou interdit de désirer. C'est par l'intervention du symbolique sur ses fantasmes et son imaginaire qu'il va pouvoir se (re)trouver en tant que sujet, ayant accepté d'entrer dans la loi sociale et la culture, avec les limites que cela implique, mais aussi les promesses d'être plus riche en expérience et en plaisir. Grâce à la fonction symbolique, le sujet va pouvoir articuler d'une manière créative les registres psychiques de l'imaginaire, du symbolique et du réel.

Yves De La MONNERAYE (1991) a pu dire que c'est la parole qui est rééducatrice. Elle l'est, au sens de créatrice du sujet et de son histoire qui se constitue en récit. Elle l'est, par son lien à la vérité du sujet. Nous avons pu mettre en évidence l'importance du changement de place du rééducateur, dans l'école, et dans la relation avec l'enfant. Nous avons pu établir également, l'articulation entre les différents processus créatifs que sont l'adaptation de l'enfant au contexte de l'école, la construction de son identité privée et scolaire, l'élaboration de son histoire en un récit, son désir et sa capacité d'apprendre.

Nous sommes parvenue ainsi à démontrer notre hypothèse de recherche:

  1. Pour répondre à la difficulté normale d'un enfant qui ne parvient pas à devenir élève, il y a, dans l'école, une place spécifique pour une action qualifiée de "rééducative", située entre le soin et l'action pédagogique.
  2. C'est la possibilité donnée à l'enfant de reconstruire son histoire, dans l'entre-deux créé par le changement de place qu'opère le rééducateur dans l'école, qui permet à cet enfant d'élaborer les capacités nécessaires pour pouvoir s'inscrire dans la culture, dans la collectivité scolaire et dans les apprentissages.

Nous n'avons pas traité "LE TOUT" de la rééducation. Nous avons seulement entr'aperçu une méthode de rééducation comme la rééducation en petit groupe, proposée à Nicolas à un moment précis de son processus rééducatif. Le groupe peut être proposé à certains enfants dès le départ. Il s'agit alors de déterminer selon quels critères cette médiation semble plus appropriée pour certains enfants. Il faudrait également analyser les apports spécifiques de ce groupe, pour chacun des enfants concernés.

Nous n'avons que fugitivement, noté la fonction et les effets institutionnels de la présence de la rééducation dans l'école. Nous avons évoqué très brièvement dans les effets de son intervention, sa contribution au changement du regard de l'enseignant sur l'enfant 689 . Nous laissons à d'autres le soin de le faire, d'une manière approfondie. On pourrait analyser ce que peut représenter la présence de la rééducation, comme moyen de "reliaisons", à l'intérieur de l'école. L'obligation d'échanges, de collaboration, pour qu'une aide rééducative soit possible, efficace, opérante, peut constituer une occasion inhabituelle pour l'enseignant, de parler de l'enfant dans sa singularité, et de ses difficultés relationnelles avec lui. Les enseignants renvoient, souvent, que la présence de l'équipe du réseau d'aides dans l'école, leur permet, en en parlant, "d'être moins seuls face à ces enfants morcelés, en souffrance, qui les met eux-mêmes en difficulté". "L'agacement face à des comportements difficiles à supporter", en étant parlé, peut être exprimé, dépassé. Le rééducateur propose son aide, pour restaurer et/ou élaborer des "re-liaisons", à des enfants qui ne parviennent pas à nouer des liens avec les autres, avec l'école et les objets d'apprentissage, qui ne parviennent pas à articuler leur vie d'enfant et une vie d'écolier et d'élève, qui sont en difficulté de créer des liens à l'intérieur même de leur psychisme. Souvent, leurs parents éprouvent eux-mêmes des difficultés à constituer ou maintenir des liens avec l'école. Ils ne rencontrent jamais l'enseignant, ou bien les realtions sont conflictuelles. Nous avons pu relater certaines dimensions de cette fonction de "tiers" que peut assumer le rééducateur, entre la famille et l'école, avec pour objectif de re-nouer des liens entre les différents partenaires éducatifs.

Recherchant "ce qui a de l'effet", notre choix s'est porté sur des processus rééducatifs pour lesquels les effets étaient visibles. Quelquefois, "cela ne marche pas", ou pas comme on le souhaiterait. Y avait-il erreur d'indication? L'enfant était déjà grand parfois, l'écart s'était trop creusé avec ses camarades pour que sa réinscription dans les apprentissages soit effective. L'objectif devait être ajusté en fonction de la situation même de cet enfant. Nous avons eu l'occasion d'évoquer cette dimension des limites de l'intervention. Comme sur le plan personnel, l'acceptation des limites et de la castration, est très importante et structurante, sur le plan professionnel. Elle a fonction de protéger l'autre, l'enfant, de nos désirs de toute puissance et de nos pulsions d'emprise.

Notes
688.

Dans la conclusion de notre troisième partie.

689.

C'était le thème de notre mémoire de maîtrise, en Sciences de l'Education (1989): "Le rééducateur en psychopédagogie: un autre regard".