Le changement de place, la valeur de l'écart: une condition d'émergence de la créativité du sujet. La rééducation est la mise en œuvre de processus créatifs pour se "RE-TROUVER" dans une identité "d'enfant-écolier-élève".

Nos analyses nous ont conduite à analyser, à de nombreuses reprises, la confrontation de l'institution scolaire, puis celle du sujet, que ce soit le rééducateur, sujet professionnel, ou l'enfant, aux prises avec des situations qui requerraient d'eux, la mise en œuvre de processus créatifs. Nous avons rapporté et analysé les conditions de la création, par l'institution scolaire, du corps professionnel des rééducateurs. Nous avons retrouvé les différentes phases d'un processus créatif, dans l'élaboration et l'évolution de leur identité professionnelle, par les rééducateurs. Nous nous étions alors posé la question, laissée volontairement en suspend, en fin de la première partie de cette recherche, de l'influence de cette expérience intimement vécue, de tension, de crise, de tâtonnement, puis de "ré-élaboration" de cette identité, dans leur pratique avec l'enfant.

Un parallèle entre ce qui s'est joué pour le rééducateur lorsqu'il a entrepris la construction de son identité professionnelle, et ce qui se joue pour l'enfant, en rééducation, s'impose à nous. Si le rééducateur a dû et doit encore nécessairement faire preuve de créativité pour "inventer" sa pratique, et pour élaborer son identité professionnelle, ces mêmes processus peuvent-ils bénéficier à un enfant en "difficulté d'identité scolaire"? Comment l'aider, à les accomplir, dans ce cas?

On pourrait se demander ce que le rééducateur va transposer dans sa pratique, de ce qu'il a vécu lui-même au cours de la construction de son identité professionnelle, alors qu'il a pour mission d'aider un enfant à construire son identité scolaire. Il est à même de comprendre, pour l'avoir lui-même vécu, les différentes élaborations nécessaires pour y parvenir, les avancées, les stagnations, les "régressions" éventuelles, le besoin d'étayage, de réassurance, de stimulation, de sécurité, de repères, puis le besoin de désétayage, qui accompagnent toute création.

L'analyse de ce qui s'est joué pour les rééducateurs, nous a conduite à envisager la nécessaire inscription de l'histoire de la rééducation dans le temps, pour lui assurer un ancrage dans le passé, une stabilité dans le présent et une assise pour le futur, la recherche des différentes identifications, l'élaboration des émotions, des déceptions, des doutes, des colères, des angoisses, la reconstruction de cette histoire en un récit qui permet la distanciation, la libération de l'énergie pour son investissement dans le désir de la rencontre avec l'enfant, la disponibilité à celui-ci. Des processus de séparation, de symbolisation, étaient à l'oeuvre 690 . Nous pouvons constater, par l'analyse des cas cliniques, que les mêmes processus sont à l'œuvre pour l'enfant, et que ce sont eux qui lui permettent de s'inscrire, ou de se "ré-inscrire" dans l'école.

Nous avons pu souligner à quel point, lors de l'analyse des rencontres cliniques avec l'enfant, la tension née de l'écart, la rupture, le changement de place du rééducateur, ont été opérants pour que quelque chose "bouge" dans la répétition, pour qu'une nouvelle attitude de l'enfant se dessine, pour qu'une nouvelle position soit possible, pour qu'un désir naisse, émerge, pour qu'un processus s'élabore.

Si nous y consentons, la tension peut devenir créatrice. L'écart entre ce qui était attendu et ce qui est produit, l'écart entre la question et la réponse, ouvre une brèche pour que naisse la demande, la question, puis le désir, un espace pour qu'émerge la créativité du sujet. Les analyses des processus rééducatifs des "cas cliniques" rapportés dans cette recherche, nous a réservé une surprise. Nous avons réalisé, dans la confrontation entre plusieurs de ces processus suivis dans un temps un peu plus long que les autres, qu'un tel processus créatif était à l'œuvre chez l'enfant. Nous avons pu, de ce fait, constater que la rééducation correspond à la mise en œuvre, par l'enfant, d'un processus créatif qui le mène de la répétition d'une relation symbiotique et imaginaire dans laquelle l'enferme son symptôme, à la mise en œuvre de processus de sublimation, et à l'investissement de l'énergie de ses pulsions, dans une recherche d'inscription dans la culture scolaire.

Dans une "marge" fragile, dans un "entre-deux", la place de la rééducation dans l'école, dans la mesure où elle est à redéfinir sans cesse, n'est-elle pas propice à la créativité des praticiens? L'enfant, en "écart" de ce qu'attend l'école, dans la mesure où il est engagé dans la recherche de solutions, de réponses à ses conflits, peut-il bénéficier d'un espace et d'un temps en "écart" par rapport à la classe et ses activités, pour reconstituer, et faire jouer ses potentialités créatives, pour se "RE-TROUVER" dans une identité qui articule sa personne privée et ses différents statuts sociaux, d'écolier et d'élève? Y aurait-il un "mouvement d'intégration réciproque"? Est-ce un hasard, demandait un jour Philippe MEIRIEU 691 , que les enfants "en difficulté d'intégration" dans l'institution, soient aidés par des personnels, eux-mêmes "en marge" du centre du système, qui doivent eux-mêmes construire sans cesse leur identité professionnelle, leur place et leur intégration dans cette institution?

Notes
690.

Nous rapportons ici des éléments de la conclusion de notre première partie.

691.

Séminaire de Doctorat, Lyon II.