Introduction 1

‘« Le travail ne peut être une loi sans être un droit. »’
Victor Hugo.

L’emploi est devenu en quelques années un sujet central de la vie politique, économique et sociale. Plus exactement, on peut remarquer que les problèmes d’emploi se sont imposés au gré de la dégradation de l’environnement économique et proportionnellement à l’accroissement du nombre de chômeurs. Autrement dit, la raréfaction de l’emploi, c’estàdire l’impossibilité de donner à chaque demandeur d’emploi un travail, valorise l’emploi. L’aggravation constante du chômage, depuis le début des années soixantedix, engage à une importante réflexion moins sur la notion conjoncturelle de crise économique que sur une mutation qui remettrait en cause le travail et l’emploi.2 Ce constat estil compatible avec l’aspiration sociale qui revendique l’emploi comme un « droit » ? On sait, en effet, que le travail productif de l’homme dans l’entreprise fait l’objet d’une réglementation spécifique, le droit du travail. Aussi, le questionnement ébauché invite à se demander comment le droit du travail peut apporter une contribution à la réflexion sur un objet, le travail, qu’il prétend régler. De plus, n’aton pas affirmé que «‘ le juridique est le lieu où s’exprime la façon dont à une certaine époque la société se pense ellemême’ »3 ?

L’ampleur de l’investigation nécessite d’adopter un angle de recherche, le propos n’étant pas de prétendre saisir le problème de l’emploi dans son ensemble.4 L’emploi et le travail sont qualitativement opposés au chômage (involontaire), c’estàdire au non travail résultant soit de la difficulté de trouver un premier emploi soit de la perte de l’emploi occupé. Ces situations différentes peuvent permettre d’orienter la recherche, dans sa limitation, à un état. On retiendra l’occupation par le travailleur d’un emploi. Autrement dit, il s’agit de s’intéresser à une situation individuelle de travail et non pas à la situation individuelle de la personne sur le marché du travail. C’est ainsi que borné à la situation individuelle de travail, l’objet de la recherche peut être confronté à un questionnement plus général relatif à la remise en cause du travail et de l’emploi.5 Mais, on aura remarqué que les mots « travail » et « emploi » apparaissent dans le langage commun comme interchangeables et ce brouillage des catégories n’est pas satisfaisant pour le juriste. Si le travail et l’emploi sont des catégories autonomes du droit, spécifiquement du droit du travail, il convient alors de les distinguer (Paragraphe I). C’est donc une fois éclaircies les catégories juridiques en cause que l’on peut tenter de rechercher les rapports qu’entretiennent l’emploi et le droit du travail (Paragraphes II et III).

Notes
1.

Dans les notes de bas de page, les numéros désignés ainsi supra n°25 ou infra n°52 invitent à se reporter à la numérotation des alinéas du corps du texte.

2.

Notamment, A. GORZ, Métamorphoses du travail. Quête du sens, Galilée, 1988 ; R. CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Fayard 1995 ; D. MEDA, Le travail, une valeur en voie de disparition, Alto Aubier, 1995 ; G. AZENAR, Emploi : la grande mutation, Hachette, 1996 ; Priorité emploi, Club Valmy, Le Monde éditions, 1996 ; Chômage, le cas français, Rapport au gouvernement, La documentation française, mai 1997 ; Le travail, quel avenir ?, Folio/Actuel, 1997 ; A. LEBAUBE, Le travail toujours moins ou autrement, Le Monde éditions, 1997 ; Le travail en perspectives, sous la direction de M. Alain Supiot, Droit et société, L.G.D.J., 1998.

3.

F. EWALD, in La justice face aux nouvelles formes d’emploi, Actes du colloque de Vaucresson, 1979, La documentation française.

4.

Au demeurant, une telle recherche a fait l’objet d’une thèse de doctorat en droit soutenue en 1986 par M. Gaudu (F. GAUDU, L’emploi dans l’entreprise privée, essai d’une théorie juridique, Thèse 1986.)

5.

Notamment, D. MEDA, Le travail, une valeur en voie de disparition, Alto Aubier, 1995 ; J. RIFKIN, La fin du travail, Paris, La découverte, 1996.