Fait économique jusqu’à devenir un élément central des rapports sociaux, le travail, confondu dans la notion d’emploi, est porteur d’un statut qui participe à la définition plus générale du statut social de l’individu. Communément, l’emploi (situation de travail salarié) est aujourd’hui devenu un concept objectif qui s’oppose au chômage (situation de non travail). On peut donc rechercher comment le droit du travail « parle » de l’emploi. Les travaux de M. Gaudu permettent de constater que le mot « emploi » acquiert son sens actuel, dans la doctrine comme dans la jurisprudence, dans les années trente.28 Selon M. Gaudu, le salarié est dit titulaire d’un emploi, expression qui évoque certains aspects de la situation individuelle du travailleur par rapport à l’entreprise ; c’est selon M. Jeammaud, ‘« une situation individuelle que procure un rapport de travail’ ».29 L’emploi renvoie donc au contrat de travail ce qui constitue une approche extensive de la notion. Il n’est donc pas surprenant qu’à l’usage du terme « emploi » se réfèrent des réalités différentes.30 La lecture des manuels de droit du travail ainsi que du Code du travail confirme ce constat.
Du point de vue de la doctrine, « l’emploi » se présente comme une clé d’entrée dans la présentation du droit du travail.31 L’évolution du « Précis Dalloz » est, à ce titre, significative. On peut observer une transition à compter de la 9ème édition (1978) puisque le découpage de l’ouvrage s’opère entre, dans une première partie « l’emploi », qui s’est substitué au « travailleur », « le statut du travailleur », objet de la deuxième partie et « l’entreprise », troisième partie. La 18ème édition (1996) oppose désormais « l’emploi » aux relations de travail. L’emploi est donc un pivot qui permet d’articuler les règles qui intéressent les relations individuelles de travail. Cette observation peut être répétée à propos des autres manuels, à l’exception de ceux de messieurs Couturier, Ray et Teyssié.32 Il en résulte effectivement une compréhension très large de la notion d’emploi qui ne renvoie plus seulement au contrat de travail (situation individuelle d’emploi) mais aussi à un certain état du marché du travail (demande d’emploi, accès à l’emploi, perte de l’emploi).33
Au plan légal, M. Gérard LyonCaen se demandait, il y a dix ans, si l’emploi était une partie du tout constitué par le droit du travail.34 Grâce au support informatique,35 il est possible, de façon moins fastidieuse, de repérer l’occurrence « emploi ». Que ce soit dans le corps des articles ou dans les titres des divisions du Code du travail, le vocable « emploi » est compté 431 fois dans le Code de 1995.36 On ne sera pas surpris de savoir que sous le titre du livre III, « placement et emploi » le terme est utilisé 238 fois par le législateur, mais on remarquera aussi que dans chaque livre le mot est usité, notamment aux livres I (59 fois), II (39 fois), IV (32 fois) et au livre IX (27 fois). Ce bilan statistique ne présenterait guère d’intérêt si aucune recherche de sens n’était entreprise. A ce propos, M. LyonCaen, dans le même article, observait encore que, loin d’apporter un éclairage sur l’emploi, le titre troisième du Code du travail s’avérait être un véritable pot pourri dans lequel ne figuraient curieusement ni la formation professionnelle ni les nouvelles formes d’embauches. Il apparaît ainsi, que le législateur a, lui aussi, une vue composite de la notion d’emploi. Toutefois, un essai de classement permet de repérer quatre tendances :
011l’emploi est conçu comme l’objet du contrat de travail en vertu des articles L. 1211 et L. 1221.
011l’emploi indique une situation ou un état : un travailleur peut être candidat à un emploi (article L. 1216), sans emploi (L. 2127) ou privé de son emploi (L. 9511). Le salarié peut exciper d’un droit visàvis de son emploi (réintégration, retour, procurer un emploi compatible).
011l’emploi est caractérisé : « emploi des enfants », « emploi dangereux » (article L. 21110), « emploi à temps plein » (L. 3224) ou à temps partiel, « emploi similaire », « emploi compatible », « disponible », « son emploi ».
011l’emploi est considéré comme un élément de l’entreprise : désignation de l’emploi occupé (article L. 12231), évolution de l’emploi (L. 13227), suppression ou transformation d’emploi (L. 3211), consultation du comité d’entreprise sur la situation de l’emploi, introduction de nouvelles technologies et ses effets sur l’emploi (L. 4322), occupation d’un autre emploi (L. 9811).
Cet inventaire confirme la réalité pluridimensionnelle de la notion d’emploi. C’est par ellipse que la situation du travailleur face au travail se fond dans cette abstraction. Il est donc possible de confirmer que l’analyse de l’emploi peut s’effectuer sur deux niveaux : soit abstraitement à un niveau macroéconomique où l’emploi n’est pas directement perceptible, c’est le champ d’intervention des politiques d’emploi, soit à un niveau microéconomique où l’emploi est réalisé en tant que situation juridique localisée dans une entreprise, c’est alors le droit du travail qui a vocation à s’appliquer. Toutefois, ne seraitil pas erroné de vouloir séparer par une cloison hermétique cette distribution des représentations de l’emploi ? On peut en effet penser que l’opinion qui conduirait à opposer le droit de l’emploi au droit du travail serait un contresens parce qu’ils semblent orientés tous les deux vers la même finalité de lutte contre le chômage.37 Mais si la transition qui s’accomplit assigne aux règles une finalité identique, on ne sait pas encore si cette tendance correspond au versus d’un même objet. A supposer cette tendance avérée, elle repose sur un postulat qu’il convient de préciser. Effectivement, que les politiques publiques d’emploi aient pour objectifs de lutter contre le chômage par une régulation du marché du travail ne saurait surprendre.38 En revanche, assigner ce but au droit du travail mérite d’être précisé.
F. GAUDU, L’emploi dans l’entreprise privée, essai d’une théorie juridique, Thèse 1986 ; également : « La notion juridique d’emploi en droit privé, Dr. Soc. 1986, 414 ; « Les notions d’emploi en droit », Dr. Soc. 1996, 569.
A. JEAMMAUD, « Le droit du travail en changement. Essai d’une mesure », Dr. Soc. 1998, 211.
L. MALLET et M.L. MORIN, « La détermination de l’emploi occupé », Dr. Soc. 1996, 660.
Le manuel de M. Ollier présente à cet égard deux originalités. Il est l’un des premiers manuels réservant une étude en soi à l’emploi (Quatrième partie « Droit du travail et emploi de la maind’oeuvre »). Mais on observera aussitôt que l’emploi est envisagé comme un problème macroéconomique qui semble difficilement trouver sa place dans les cadres classiques de l’étude du droit du travail. Sa place en fin d’ouvrage semble l’attester. P.D. OLLIER, Le Droit du travail, Collection U, A. Colin, 1972.
Dans ces manuels « l’emploi » ne figure dans aucun titre de division, il n’apparaît pas non plus dans l’index. G. COUTURIER, Droit du travail, 1/ Les relations individuelles de travail, P.U.F. 1996 ; J.E. RAY, Doit du travail, droit vivant, 6ème éd. Liaisons, 1997 et B. TEYSSIE Droit du travail, 1. Relations individuelles de travail, Litec 1993.
Cette présentation trouve son expression dans l’ouvrage dirigé par M. Pélissier, Droit de l’emploi, Dalloz action.
G. LYONCAEN, « Le droit du travail dans les nouvelles politiques d’emploi », Dr. Soc. 1988, 548.
Cédérom Légisoft, 1995.
C’estàdire avant la codification de la loi n°97940 du 16 oct. 1997, relative aux emploisjeunes, articles L. 322418 et suiv. On soulignera qu’une telle recherche ne peut pas éviter a priori les locutions telles que « direction du travail et de l’emploi ».
Sur ce point, cf. A. JEAMMAUD, « Crise et relations du travail », in Droit de la crise, crise du droit, P.U.F. 1997 ; « Le droit du travail en changement. Essai d’une mesure », Dr. Soc. 1998, 211.
La politique de l’emploi peut être définie comme l’ensemble des mesures spécialement conçues et mises en oeuvre, en vue d’exercer, de façon directe ou indirecte, une action de nature qualitative et/ou quantitative, le plus souvent sélective, sur l’offre et/ou la demande d’emploi, action tendant à favoriser entre elles un certain état du marché du travail. Voir en ce sens, Encyclopédie Dalloz, Emploi ; également, M.Th. JOINTLAMBERT. et alii, Politiques sociales, Dalloz, 1994, p. 175 et suiv.