Le problème posé par l’étude de la protection de l’emploi dans l’entreprise est d’en définir les contours. On a déjà remarqué que la notion d’emploi est relative ; elle est avant tout un avatar du travail, elle est en outre pluridimensionnelle. La nécessité de circonscrire l’objet de la recherche est donc essentielle ; elle peut être orientée par l’idée de protection. La protection s’entend de la précaution qui, répondant à un besoin de celui ou de celle qu’elle couvre et correspondant en général à un devoir pour celui qui l’assure, consiste à prémunir une personne ou un bien contre un risque.72 Dans une compréhension plus large, notamment en économie, la protection s’étend à des actions en vue de favoriser ou de réguler les conditions de concurrence entre les acteurs sur un marché. On retrouve là les problèmes généraux d’emploi que les politiques publiques s’efforcent de résoudre et, partant, les deux niveaux d’actions déjà repérés : le marché du travail et l’entreprise. La justification de l’entreprise comme cadre pertinent à l’analyse de la protection de l’emploi s’évince de la considération qu’un ordre juridique institue des centres d’imputation, autrement dit un rapport de responsabilité de débiteur à créancier.
Or, on sait que malgré la proclamation solennelle, par le préambule constitutionnel de 1946, du « droit d’obtenir un emploi »,73 les éléments constitutifs d’un droit subjectif ne sont pas réunis. Un demandeur d’emploi ne dispose pas d’une prérogative lui permettant d’exiger de l’Etat ou d’un employeur qu’un emploi lui soit octroyé.74 Toutefois, M. Jeammaud se demande si ce « droit à » n’a pas d’autre valeur positive, spécifiquement en présence d’un rapport de travail de sorte que le droit d’obtenir un emploi serait une mesure efficiente de la remise en cause de l’emploi occupé.75 La restriction du champ de l’étude à l’emploi microéconomique présente donc l’intérêt de fixer un cadre à l’étude de l’emploi en tant qu’objet susceptible de protection sollicitant le droit du travail. Une telle localisation juridique de l’emploi dans l’entreprise présente l’avantage d’éviter la critique d’instrumentalisation du droit, d’instabilité voire d’incohérence propre aux règles qui s’intéressent à l’emploi macroéconomique. L’angle de recherche adopté peut, en revanche, s’avérer plus fécond s’il permet de mettre en évidence une inclination du droit du travail dans la prise en compte de l’emploi comme finalité ou, encore mieux, dans l’ébauche d’un droit de l’emploi par objet, partie intégrante du droit du travail.76 L’arrêt Géophysique, du 19 février 1997,77 s’il ne devait pas rester isolé, s’avérerait significatif, l’application du passage négocié au trentecinq heures en fournira sans doute les occasions. En l’espèce, un accord de révision réduit de moitié le montant d’une prime instituée par un ancien accord en contrepartie d’une limitation des licenciements économiques devant intervenir. La question posée à la Cour de cassation était de savoir, si cet accord modificatif était opposable aux salariés alors qu’il n’était pas signé par la totalité des signataires initiaux. Les juges, reconnaissant que ce nouvel accord est plus favorable, en décident l’application motifs pris que cet accord est globalement plus favorable puisque la diminution de la prime est compensée par un engagement de l’employeur en terme de maintien de l’emploi. L’emploi deviendrait un objet central du droit du travail qu’il aura vocation à structurer.
L’évolution récente du droit positif invite donc à considérer, dans son ensemble, des règles qui se manifestent en faveur de la résistance du contrat de travail à sa rupture. Cet intérêt n’est pas nouveau, la doctrine présente la suspension du contrat de travail, le jeu de l’article L. 12212 alinéa 2 du Code du travail ou le droit du licenciement comme autant de mécanismes de protection de l’emploi.78 Toutefois, ces présentations n’ont jamais fait l’objet d’une étude d’ensemble, d’autant qu’une césure, pourtant artificielle préside une distinction entre les causes d’ordre personnel de rupture du contrat de travail et celles d’ordre économique, où la protection de l’emploi semble naturellement trouver son expression. Cependant, à partir du principe d’exécution de bonne foi du contrat de travail, posé en tant que tel par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans l’arrêt Expovit, l’ensemble de la problématique de la protection de l’emploi doit être reconsidéré. On peut penser, en effet, que cette directive adressée au juge et aux parties à la relation de travail est susceptible de fonder, sinon de renouveler, une conception générale de la protection de l’emploi. Cette construction pourrait s’articuler autour de la reconnaissance d’un lien d’emploi propre à rendre compte d’un ensemble de « droitsdéfense » que le salarié pourrait opposer à l’employeur lorsqu’un acte est susceptible de mettre en cause sa situation juridique d’emploi. Il sera donc tenté de répondre à la question plus générale de savoir si l’employeur est débiteur d’emploi.
Cependant, à supposer qu’une finalité de protection de l’emploi puisse guider l’interprétation des règles, la question de l’objet de la protection reste entière. On a souligné la polysémie du terme « emploi » laquelle conduit à une approche extensive de la notion ; tout contrat de travail est une situation d’emploi. M. Gaudu ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il définit l’emploi comme un droit, d’étendue variable, à la poursuite d’un contrat à exécution successive. Si ce principe d’unité entre les situations juridiques repérées doit être confirmé, il devrait en résulter que les mécanismes de protection de l’emploi seraient identiques. Si ce n’est pas le cas, la recherche serait alors ouverte pour définir « l’emploi » comme une catégorie autonome. Autrement dit, parmi les situations juridiques d’emploi il conviendrait de repérer celle(s) ressortissant d’une catégorie et pas d’une autre. L’intérêt d’une telle distinction apparaîtrait essentiel si elle entretenait un rapport consubstantiel avec la mise en oeuvre de mécanismes de protection. Cette hypothèse ne peut être écartée a priori d’autant que le droit du contrat de travail est très largement un droit de la rupture du contrat de travail.79 Au demeurant, la voie est ouverte par M. Gaudu qui souligne que des situations d’emploi peuvent être imparfaites ; l’auteur vise les contrats de travail dits « atypiques ». Mais ne fautil pas aller plus avant et se demander si cette imperfection, intrinsèque à certaines situations d’emploi, ne va pas jusqu’à les déqualifier ? L’intérêt d’une approche de la notion d’emploi, catégorie opératoire du droit du travail, est dès lors indispensable.
Avant d’entreprendre l’analyse des mécanismes juridiques de protection de l’emploi, il est nécessaire de s’interroger sur la notion même d’emploi. On s’attachera donc, dans une première partie, à montrer que l’emploi, porteur d’une fonction propre, est un objet saisi, en soi, par le droit du travail puis, une seconde partie, sera consacrée à l’étude des moyens de la protection de l’emploi du salarié dans l’entreprise.
Voir notamment, Dictionnaire de la langue française, Robert ; Vocabulaire juridique Cornu, Protection.
Par ailleurs indéfectiblement lié par la conjonction « et » au devoir de travailler. Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, alinéa 5 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou dans son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. »
C. Const., 28 mai 1983, J.O. 1 juin 1983, A.J.D.A., 1983, 619 ; Dr. Soc. 1984, 159. F. GAUDU, L’emploi dans l’entreprise privée, essai d’une théorie juridique, Thèse 1986, n°214 et suiv. ; A. JEAMMAUD, « Les principes dans le droit français du travail », Dr. Soc. 1982, 618.
A. JEAMMAUD, « Consécration de droits nouveaux et droit positif, sens et objet d’une interrogation », CERCRID, 1985, spéc., pp. 2122.
En ce sens A. JEAMMAUD, « Le droit du travail en changement. Essai d’une mesure », Dr. Soc. 1998, 211.
Cass. Soc. 19 février 1997, Bull. V., n°70, Dr. Soc. 1997, 432, obs. G. COUTURIER, C.S.B.P. n°90, A.24, Jurisp. Soc. U.I.M.M., n°609, p. 352 ; Le Monde 22 oct. 1997, Le droit du travail évolue vers un droit à l’emploi, F. LEMAITRE.
J.Cl. JAVILLIER, Droit du travail 6ème éd. L.G.D.J., 1997 ; J. RIVERO et J. SAVATIER, Droit du travail, P.U.F. 1993, 13ème éd.
G. COUTURIER, Droit du travail, 1/ Les relations individuelles de travail, P.U.F. 1996, n°14.