L’une des approches possibles de la notion d’emploi consiste à le considérer comme un ensemble de fonctions agrégeant une activité humaine, physique ou intellectuelle, finalisé sur un plan économique. Cette conception fonctionnelle de l’emploi peut être rattachée à la notion d’activité professionnelle, voire de métier.85 Ainsi, l’artisan boulanger qui a pour activité de fabriquer du pain occupe un emploi, de même que le boulanger employé d’un hypermarché. Cependant, dans ces deux situations, la notion « d’emploi », compris comme une activité, ne renvoie pas aux mêmes situations juridiques, une seule, l’activité de l’employé, supporte, au sens du droit du travail, une relation juridique d’emploi.86 Ainsi donc, une même activité, un même métier, conduisent à distinguer deux régimes juridiques différents, exclusifs l’un de l’autre. Comme le remarquait déjà Monsieur Groutel,87 hormis les individus qui peuvent vivre sans travailler, les uns mettent à la disposition d’une entreprise leur force de travail, alors que les autres créent leur propre entreprise. Le régime juridique de l’activité professionnelle est donc dual,88 il s’ordonne autour des relations nouées avec l’entreprise dans le moule commun du contrat. Tantôt, l’individu met à disposition d’une entreprise sa force de travail, est alors conclu un contrat de travail ; tantôt, l’individu décide d’exploiter pour luimême sa force de travail, sous la forme d’une entreprise, traitant alors avec une autre entreprise, la nature du contrat dépendant de l’objet de l’obligation. Le choix du rapport contractuel est placé sous l’égide du double principe de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté du travail. Il offre aux agents économiques un choix dans l’utilisation de l’outil le plus efficace à leurs objectifs ; il s’agit là d’une alternative à l’emploi.
Cependant, sur le plan du droit, cette approche achoppe sur plusieurs obstacles dont les définitions du contrat de travail, de l’emploi et de l’entreprise.89 Toutefois, on pressent aussi quel lien peut les unir. Traditionnellement, l’entreprise est appréhendée comme une organisation professionnelle disposant de moyens, matériels et humains, qui permettent l’exercice d’une activité de manière constante et régulière afin d’offrir de façon permanente au public ses services ou ses produits.90 Quant au contrat de travail, il est défini comme « la convention par laquelle une personne, qualifiée de travailleur, de salarié ou d’employé, s’engage à accomplir des actes matériels, généralement de nature professionnelle, au profit d’une autre personne dénommée employeur ou patron, en se plaçant en situation de subordination, moyennant une rémunération en argent appelée salaire. »91 Il apparaît ainsi que l’activité développée par l’entreprise, entendue comme une organisation de moyens et l’activité du travailleur salarié se rencontrent autour de la notion d’emploi.92 Si l’emploi peut apparaître comme l’expression de la relation entre l’entreprise et le salarié, on peut alors se demander si le droit du travail saisit l’emploi en tant que tel et, à supposer qu’il le fasse, comment il en rend compte (Chapitre I). Toutefois, le repérage de l’emploi dans l’entreprise ne suffit pas à justifier de l’application de règles particulières de protection. On peut néanmoins observer que l’ancienneté dans l’emploi renforce les droits du salarié dans l’entreprise.93 En outre, la représentation de la collectivité des travailleurs dans l’entreprise dépend d’abord de l’ancienneté puisqu’elle conditionne la qualité d’électeur ou de salarié éligible. Le droit du travail s’est donc constitué sur une relation de travail durable qui, par ce caractère, offre aux salariés une certaine capacité de résistance. Ainsi, si toutes les situations juridiques de travail portent en elles une exigence de protection, il convient de souligner en quoi l’emploi entretient un rapport étroit avec l’idée même de protection (Chapitre II).
L. CASAUX, La pluriactivité ou l’exercice par une même personne physique de plusieurs activités professionnelles, L.G.D.J., 1992, t. 231.
Mais tous constituent des actifs. Selon Monsieur Gérard LyonCaen (Le droit du travail non salarié, Sirey 1990, n°6), on peut parler de droit de l’activité, constitué par le droit de l’activité subordonnée (droit du travail) et le droit de l’activité indépendante. Sur le concept de situation juridique d’emploi, cf. F. GAUDU, L’emploi dans l’entreprise privée, essai d’une théorie juridique, Thèse 1986 et du même auteur, « Les notions d’emploi en droit », Dr. Soc. 1996, 569 ; « Travail et activité », Dr. Soc. 1997, 119.
H. GROUTEL, « Le critère du contrat de travail », in Tendances du Droit du travail français contemporain, Etudes offertes à G.H. Camerlynck, p. 49.
Vocabulaire juridique CORNU : « Travail dépendant ou indépendant qui se caractérise par l’accomplissement régulier de certains actes, par opposition au travail occasionnel, et par la poursuite d’un but lucratif. » En ce sens également, L. Casaux, ouvrage précité, page 34 et suiv. Selon l’auteur quatre éléments permettent de définir l’activité professionnelle : 1/ une activité, 2/ un support juridique, 3/ une finalité lucrative, 4/ le temps consacré à l’activité. Cette définition est intéressante mais elle semble aussi remise en question dans une recherche de recomposition de la notion de travail. Il n’est pas sûr que le caractère lucratif conserve toute sa pertinence. Voir notamment, Rapport du Commissariat général au plan, Le travail dans vingt ans, éd. O. Jacob, la Documentation française, 1995. A. SUPIOT, « Le travail, liberté partagée », Dr. Soc. 1993, 715 ; F. GAUDU, « Travail et activité », Dr. Soc. 1997, 119. Se reporter infra n°534 et suiv.
On peut ainsi remarquer que bien que l’entreprise n’ait pas de définition juridique stricte, elle fait néanmoins partie du raisonnement juridique.
Voir notamment, RIPERT et ROBLOT, Traité élémentaire de droit commercial, Tome 1, L.G.D.J., 1994, n°358 ; N. CATALA, Traité de Droit du travail, L’entreprise, Dalloz 1980, n°2 et suiv.
P. DURAND, Traité de Droit du travail, Tome II, Dalloz 1950, n°127. Egalement, J. RIVERO, J. SAVATIER, Droit du travail, p. 74, P.U.F., 10ème éd. ; J.E. RAY, Droit du travail, droit vivant, éd. Liaisons sociales, 1996, Introduction, p. 10 ; B. TEYSSIE, Droit du travail, tome 1, Relations individuelles de travail, Litec 1993 n°317, G. COUTURIER, Droit du travail, 1/ Les relations individuelles de travail, P.U.F. 1990, n°44 ; J.Cl. JAVILLIER, Droit du travail, 4ème éd. 1992, L.G.D.J., n°17 ; G. LYONCAEN, J. PELISSIER et A. SUPIOT, Droit du travail, 17ème éd., Dalloz 1994, n°166.
Au regard, de l’article L. 1202 du Code du travail, il est proposé la définition suivante : « Convention par laquelle une personne s’engage à mettre à disposition d’une autre sous la subordination de laquelle elle se place en tant que nécessaire, moyennant une rémunération » ; Précis Dalloz, n°179.
En ce sens, F. GAUDU, L’emploi dans l’entreprise privée, essai d’une théorie juridique, Thèse 1986. Voir aussi infra n°160 et suiv.
En ce sens, F. GAUDU, thèse précitée. Egalement, G. VALLEE, « La notion d’ancienneté en droit du travail français », Dr. Soc. 1992, 871. On sait par exemple, que la salarié ayant plus de deux ans d’ancienneté a automatiquement droit à six mois de salaire si le juge dit que le licenciement prononcé est sans cause réelle et sérieuse (article L. 122144 al. 1 du Code du travail).