Section 1 : La détermination économique de l’emploi : l’activité de l’entreprise

L’exercice d’une activité professionnelle dans l’entreprise engage le salarié dans une relation de travail, naît alors un contrat de travail. La qualification de cette opération juridique ressort de l’examen des faits, riches de nuances, sans que la dénomination contractuelle ne lie le juge.96 La qualification « contrat de travail » a donc seule vocation à supporter un emploi, même si on peut penser que tout contrat de travail ne concrétise pas un emploi. Néanmoins, il en résulte, en droit, que la reconnaissance juridique d’une situation d’emploi renvoie nécessairement à la notion de subordination juridique, critère traditionnel du contrat de travail. En effet, la jurisprudence s’est attachée à montrer que la relation établie entre les parties au contrat concrétisait une prestation de travail juridiquement supportée par un contrat de travail dès lors que le travailleur qui engage sa force de travail le fait sous le contrôle et les ordres de l’autre partie, l’entrepreneur/employeur. Toutefois, si la notion de subordination s’est avérée pendant longtemps pertinente, en ce que l’autorité exercée par l’un exclut l’autonomie de l’autre, la pluralité des formes d’entreprises mais aussi l’indépendance technique du travailleur ou la nature de l’activité ont conduit à rendre plus difficile une approche strictement hiérarchique. Aussi, la Cour de cassation a complété son analyse en adoptant le critère du service organisé. Comme la doctrine l’a souligné, la notion de service organisé ne modifie pas la nature de la subordination, tout au contraire elle complète cette notion.97

A cet égard, dans la perspective qui consiste à définir la notion d’emploi, c’estàdire ici à repérer les charnières unissant le triptyque entreprise/contrat de travail/salarié, la notion de service organisé permet d’identifier un emploi en ce qu’il est une division de l’activité de l’entreprise. La construction autour du service organisé permet en outre de fonder un critère afin d’appréhender des situations qui résultent des modes « d’externalisation » de l’emploi.98 La notion de subordination s’est pendant longtemps suffit à ellemême, marquant l’intégration du « travailleur taylorien » à l’entreprise.99 Ainsi l’idée selon laquelle l’intégration du travailleur dans une organisation était un constat si évident qu’il en était ignoré fonde le fait que le critère du service organisé soit venu compléter celui de la subordination. La transformation des méthodes de travail, les technologies utilisées générant une indépendance technique,100 mais aussi la participation à l’entreprise d’autrui mettant en jeu des activités par nature indépendantes,101 ont conduit le juge à venir se placer sur le plan de l’organisation. Ainsi, le juge partait de la subordination pour arriver à la notion de contrat de travail, les indices résultaient de l’autorité, laquelle était apparente et suffisante pour opérer cette qualification juridique. Il est aujourd’hui amené, à défaut d’autorité apparente, à se fonder sur une analyse gestionnaire, celle du service organisé pour aboutir à la qualification « contrat de travail ». Pour autant, le critère de la subordination reste essentiel parce que l’organisation d’une structure orientée vers un but induit une relation d’ordre.102 On peut ainsi soutenir que la notion de subordination est avec l’entreprise dans un rapport d’effet tout autant que dans une relation de cause. Il semble alors que l’intégration du travailleur appelle une relation d’ordre, au sens d’organisation (Paragraphe I) impliquant un rapport d’ordre, au sens d’autorité (Paragraphe II). Autrement dit, lorsqu’un chef d’entreprise organise son entreprise autour d’emplois, il évince toute relation contractuelle fondée sur l’autonomie et l’égalité des cocontractants. La notion d’emploi, élément de l’organisation de l’entreprise, s’inscrit irréductiblement dans une logique fondée sur le pouvoir parce que le travailleur est intégré à l’entreprise.

Notes
96.

Ass. Plén. 4 mars 1983, Bulletin page 5 ; Cass. Crim. 29 oct. 1985, Bull. crim. n°335, Gaz. Pal. 1985, 1, p.9, note DOUCET ; Cass. Soc. 17 avril 1991, Bull. V., n°200, Dr. Soc. 1991, 516, C.S.B.P. 1991, A.57. Le juge doit restituer aux contrats leur véritable qualification : Cass. Soc. 22 janv. 1991, Bull. V., n°30 ; 11 oct. 1990, Bull. V., n°473.

97.

Voir notamment, P. FISCHIVIVET, « Les éléments constitutifs du contrat de travail », R.J.S. 7/91, p. 414.

98.

Voir infra n°461 et suiv.

99.

Th. AUBERTMONTPEYSSEN, La subordination juridique, éd. C.N.R.S. Toulouse, 1988, p. 287.

Il faut ici souligner que l’expression « travailleurtaylorien » renvoie simplement au rapport de l’ouvrier à l’usine. Mais il faut aussi préciser que si les métiers ont changé, sans doute les qualifications ont progressé, le caractère répétitif des tâches, marque de l’organisation taylorienne du travail n’a, quant à lui, pas disparu. Tout au contraire sembletil. Voir notamment, Alternatives Economiques, mai 1996, page 30 et Alternatives Economiques, oct. 1996, page 62.

100.

Voir sur ce point J.E. RAY, « Nouvelles technologies et nouvelles formes de subordination », Dr. Soc. 1992, 525, spéc. p. 528, pour les difficultés soulevées par le télétravail. Egalement, R.M. LEMESLE, J.C. MAROT, Le télétravail, P.U.F., 1994, Que sais je ?, spéc. pp. 61 à 68.

101.

Peu important ici le mobile de ce rattachement.

102.

La définition du contrat de travail donnée par la Cour de cassation dans ces arrêts récents se recentre effectivement autour du pouvoir de l’employeur de donner des ordres à son cocontractant. Cass. Soc. 13 nov. 1996, R.J.S. 12/96, n°1320 ; 23 avril 1997, R.J.S. 6/97, n°645.