Au premier abord, l’emploi peut être appréhendé du point de vue de l’entreprise. Cette approche renvoie à une conception abstraite de l’emploi puisqu’il peut être considéré comme un élément de l’organisation de l’entreprise. Une telle perspective a sans doute une autonomie propre qui n’intéresse pas directement le droit du travail. Pourtant, c’est bien la notion « d’emploifonction » qui opère le passage de l’emploi de l’ordre gestionnaire ou économique à l’ordre juridique. En effet, on sait que le législateur fait reposer sur une dualité de nature la dichotomie entre les situations juridiques de travail dépendant. Le critère discriminant est la permanence de l’élément de l’organisation de l’entreprise et on peut soutenir que ce critère qualitatif fonde en droit l’autonomie de la notion d’emploi en tant que catégorie juridique opératoire. Il en résulte qu’il s’établit un rapport irréductible entre un élément de fait « l’emploifonction » et la nature juridique du contrat de travail, l’emploi ne peut effectivement être juridiquement réalisé dans l’ordre juridique que par un contrat à durée indéterminée. Cette unité des temps de l’emploi et du contrat de travail, leur interdépendance, sert d’assise à une finalité de protection de l’emploi du salarié.
En droit, la protection peut s’entendre comme un ensemble de correctifs qui tendent à rétablir un équilibre postulé, notamment entre des cocontractants.420 Traditionnellement, le droit du travail est l’un des domaines privilégiés dans lequel des règles de protection sont édictées au profit du salarié en raison même du contrat de travail qui place le travailleur en état de subordination. Le droit du travail serait un élément de justice sociale gouverné par le principe essentiel d’égalité quelle que soit la nature des situations juridiques de travail en cause. Ainsi les règles de sécurité de la personne au travail s’appliquent que le salarié soit engagé sous contrat de travail à durée déterminée ou à durée indéterminée. De même les règles de protection du salaire sont indifférentes à la nature du contrat de travail. On pourrait alors conclure que l’emploi n’est pas, en soi, objet ou même fondement de protection. On peut penser que cette analyse aurait pu être encore soutenue avant les années quatrevingtdix, elle apparaît aujourd’hui ne plus rendre compte du droit positif. Monsieur Supiot relève que la sécurité physique est naturellement prolongée par l’idée de sécurité économique par le travail.421 Or précisément la sécurité économique par le travail ne trouve son expression pleine et entière que dans un contrat de travail stable mais surtout pérenne ou, concurremment, lorsque le marché du travail permet aux salariés dont le contrat est borné dans le temps de réembaucher sans difficulté. Si on admet l’idée qu’il n’y a pas de marché, et spécifiquement de marché du travail, sans droit du travail,422 c’estàdire de contribution du droit au fonctionnement du marché du travail, on peut penser que l’état du marché n’est pas sans incidence sur l’orientation du droit.423 A supposer que les acteurs du droit s’intéressent à l’emploi stricto sensu (Section 1), le droit positif, en opposant les situations de travail selon leur nature et partant leur régime juridique, rend possible l’émergence d’une créance d’emploi au profit du titulaire d’un emploi dans l’entreprise, manifestation de la protection de l’emploi dans l’entreprise (Section 2).
Sous la direction de J. GHESTIN, La protection de la partie faible dans les rapports contractuels, Bibliothèque de droit privé, t. 261, L.G.D.J., 1996. Supra n°5 et suiv.
A. SUPIOT, Critique du droit du travail, P.U.F., les voies du droit, 1994, spéc. page 74 et suiv. Supra n°11et suiv.
F. GAUDU, « L’organisation juridique du marché du travail », Dr. Soc. 1992, 942.
Les critiques dirigées contre le droit du travail qui nuirait au plein emploi semblent accréditer la contribution du droit du travail à la régulation du marché du travail, cf. B. TEYSSIE, « Remarques sur le droit du travail », Mélanges Colomer, p. 495.