« Organiser le travail, c’est décrire et délimiter des fonctions puis les grouper par ordre, genres, espèces et variétés. »671 L’organisation répond à un besoin moderne né de l’organisation industrielle du travail nécessaire à l’entreprise. L’organisation interne de l’entreprise est servie par la discipline de production qui tend, aussi, à la hiérarchisation des emplois, corrélativement des hommes qui les occupent.672 La discipline de production tente d’être appréhendée par les gestionnaires qui cherchent à produire des régularités, sources d’efficacité. La classification des emplois participe à cette rationalisation de l’organisation interne de l’entreprise ; c’est une opération de gestion. La classification n’est autre que la qualification du travail, prérogative du chef d’entreprise et a pour objet « l’emploifonction », qui comprend l’ensemble des fonctions techniques requises pour l’accomplissement des tâches. Ce sont les éléments objectifs de l’emploi. La classification est, selon la définition du B.I.T., « une méthode logique et, dans une certaine mesure, objective, qui permet de classer les emplois les uns par rapport aux autres. »673 Mais la classification doit tenir compte des capacités professionnelles des salariés, c’est-à-dire de la qualification individuelle, véritable état professionnel du travailleur, ces éléments constituant la part subjective de l’emploi parce que rattachée à la personne. L’opération de classification, préparatoire au recrutement, vise à atteindre un degré d’objectivité dans l’analyse et la détermination des emploi, abstraction faite de la personnalité des travailleurs. Le rattachement entre la personne et le poste s’opère par le classement du travailleur. C’est, autrement dit, l’attribution de la qualification contractuelle c’est-à-direle lien entre la personne et les fonctions qui donnent corps à l’emploi. La classification est une opération distincte de l’opération de classement, qui intervient donc antérieurement et qui procède d’une nécessité d’organiser l’entreprise. L’une des conséquences immédiates du classement est de hiérarchiser les salariés à l’intérieur de l’entreprise.674
Mais il apparaît aussi que la classification dépasse la seule sphère de l’entreprise. Pour l’historien, l’acte de classer des emplois, des postes, des hommes et des femmes au travail est de nature sociale. « Les classifications peuvent s’analyser simultanément comme un outil de gestion du personnel, un mode d’acquisition et d’évaluation de la qualification, une forme de la représentation salariale, un moyen de restructuration du marché du travail, la traduction enfin d’un compromis social. »675 Hors de l’entreprise, la classification renvoie alors moins à son caractère objectif, l’emploi, qu’à la qualité du travailleur, c’est-à-dire à son état professionnel. Elle devient une norme d’identification professionnelle du salarié structurant la société.676 Ainsi c’est autour de la classification professionnelle que l’I.N.S.E.E. a élaboré en 1951 un code des catégories socioprofessionnelles qui permettait de classer la population en un nombre restreint de grandes catégories présentant chacune une certaine homogénéité sociale, les critères constitutifs de ces codes étant la profession (le métier), le secteur d’activité (agriculture), le statut (salarié ou non salarié), la qualification professionnelle, la position hiérarchique et l’importance de l’entreprise.677 Peutêtre à ce stade retrouveton l’effet socialisateur du métier, même si celuici en tant que tel a, sembletil, été rejeté du domaine salariat. En effet, si le système d’institutionnalisation des classifications remonte aux arrêtés Parodi et Croizat,678 les métiers avaient déjà eu cette fonction de stratification de la société.
Dans cette perspective d’organisation de l’emploi dans l’entreprise, le classement du travailleur a pour principal effet de lui faire acquérir un statut professionnel ; la classification créée alors des catégories professionnelles. Toutefois, si cette fonctionnalité du classement ne doit pas être sousestimée, eu égard à ses incidences, il a été montré que les classifications ne se bornent pas à être uniquement descriptives autrement dit attributives d’un statut social. Elles sont des règles qui permettent des actions instituant aux parties au contrat un ensemble de droits et d’obligations. Les classifications sont présentées comme des règles de travail ou de structures.679
Proudhon.
Supra n°55 et suiv.
B.I.T., Etudes et documents, nouvelle série n°56, juin 1964, p. 117118, cité par N. CATALA, Traité de Droit du travail, L’entreprise, Dalloz 1980, n°12.
Ainsi qu’on a pu l’écrire la classification est un ordre hiérarchique. Ph. LANGLOIS, « La hiérarchie des salariés », in Tendances du Droit du travail français contemporain, Etudes offertes à G.H. Camerlynck, p. 185.
M. REBERIOUX, « L’historien devant les classifications professionnelles », Travail et Emploi n°38, déc. 1988, p.
Cf. P. SANTELMAN, « La reconnaissance de la qualification professionnelle », Dr. Soc. 1995, 1014.
Depuis 1982, L’I.N.S.E.E. utilise une nouvelle classification celle des professions et catégories socioprofessionnelles qui prennent en compte d’autres distinctions telles que la nature juridique de l’emploi (privé ou public), l’origine socioprofessionnelle des inactifs.
Arrêtés des 22 septembre 1945 et 31 janvier 1945, v. infra n°180 et suiv.
A. LYONCAEN, « Le droit et les classifications », Travail et Emploi n°38, déc. 1988, p. 21.