Le contrat est généralement défini comme un accord de volontés en vue de produire des effets de droit. Le choix de l’instrument juridique « contrat » répond aux besoins des parties cocontractantes et le contenu du contrat en reflète l’effet attendu. Pourtant la liberté de choix de l’instrument juridique le plus adéquat et la détermination de son contenu ne sont pas absolus ; l’ordre public limite la liberté contractuelle.748 Tel est le cas lorsque le but recherché par les agents économiques dans le contrat a pour objet la mise à disposition de la force de travail de l’homme. Les parties à un contrat de louage voient, en effet, l’autonomie de leur volonté restreinte. En ce domaine, le droit du travail se singularise particulièrement parce que l’opération de rattachement à la nature juridique du contrat de louage de service est ellemême d’ordre public. En effet, la qualification « contrat de travail » retentit sur le statut social du travailleur et n’est donc pas à la libre disposition des parties à la relation de travail.749 Dans l’ordre de la qualification des situations appréhendées par le droit et, quoique le vocable « emploi » soit polysémique, la doctrine s’entend pour considérer que l’emploi désigne la situation individuelle que procure un rapport de travail subordonné. On peut donc dire que l’activité humaine subordonnée à autrui, considérée en ellemême, est le contrat de travail, cette situation juridique étant dénommée « emploi ». A supposer le choix de l’emploi effectué par les parties à une relation juridique, c’est alors la qualification juridique « contrat de travail » qui s’impose. On peut donc soutenir que la notion « emploi » participe à la définition de la nature juridique de la situation de fait saisie par le droit. En ce sens, le contrat de travail réalise une situation juridique d’emploi. Pourtant, l’analyse des règles juridiques applicables au contrat de travail invite à une distinction de fond relevant non pas de la catégorie « contrat » mais tenant à la nature juridique du contrat de travail.750
En effet, le législateur opère une distinction entre le contrat de travail à durée déterminée et le contrat de travail à durée indéterminée ; cette dualité est décisive. Cependant, il est généralement admis que cette dichotomie est sans incidence sur la teneur des situations juridiques en cause ; toutes seraient des situations juridiques d’emploi.751 Cette analyse ne rend toutefois pas compte de l’autonomie acquise par la notion « emploi » et partant des effets qu’elle induit. On peut effectivement soutenir que la notion d’emploi est une catégorie opératoire du droit du travail. Cette proposition résulte de la combinaison de deux règles. La première érige en principe que le contrat de travail à durée indéterminée est le contrat de droit commun (article L. 1215 du Code du travail). La seconde vise, dans une double limitation, le recours au contrat de travail à durée déterminée, d’une part, il ne peut être conclu que pour les cas limitativement énumérés par la loi et ne peut en aucun cas pourvoir une activité normale et permanente de l’entreprise et, d’autre part, sauf exception, la durée de ce contrat ne peut pas excéder dixhuit mois (articles L. 12212 et suivants du Code du travail). Seul le contrat de travail à durée indéterminée concrétise en droit un emploi. Il apparaît donc que si les situations juridiques d’emploi ont vocation à régir l’exercice d’une prestation subordonnée de travail, il convient de distinguer les situations d’emploi, stricto sensu, et les autres situations juridiques de travail supportées par un contrat de travail qui ne se rattachent pas à l’occupation d’un emploi dans l’entreprise. On peut soutenir que l’opposition entre le contrat de travail à durée déterminée et le contrat de travail à durée indéterminée est fondée non seulement sur la durée du contrat mais aussi sur le rattachement qualitatif à l’organisation de l’entreprise ; la permanence d’un élément de l’organisation de l’entreprise, l’emploi, oblige à la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée. Il en résulte que l’occupation d’un emploi dans l’entreprise caractérise la nature juridique du contrat de travail.
Cette approche de l’emploi permet d’éclairer le rapport entre le contrat de travail et l’entreprise. A cet égard, on peut remarquer que le rattachement de la nature juridique du contrat de travail s’établit par une concordance avec l’organisation de l’entreprise. De ce point de vue, l’emploi peut être compris comme un élément de la structure de l’entreprise, ce que ne semble pas démentir, par exemple, la définition du licenciement pour motif économique (article L. 3211 du Code du travail). Dans le langage du droit du travail, cette compréhension fonctionnelle ou instrumentale de l’emploi rappelle la notion de poste de travail. Ces deux éléments semblent assez souvent confondus, il convient cependant d’affiner l’analyse. A titre d’exemple, la définition du licenciement pour motif économique s’articule notamment autour de la notion d’emploi, supprimé ou transformé, et non pas autour de la notion de poste de travail. Pourtant, l’examen de la jurisprudence laisse nettement apparaître une équivalence entre la suppression d’emploi et la suppression du poste de travail.752 De même, le salarié inapte physiquement est déclaré inapte à occuper son emploi mais, dans le même texte, article L. 122325 du Code du travail, le législateur indique que l’employeur doit aménager le poste de l’intéressé afin de le reclasser. En réalité, ce sont bien les conditions matérielles d’exécution du travail qui dans un premier temps doivent être transformées, c’estàdire le poste de travail, afin que le salarié puisse recouvrer son emploi. Ce n’est que lorsque l’inaptitude ne permet plus de tenir le même type d’emploi que le reclassement dans un autre emploi doit être envisagé. L’emploi, élément de l’organisation de l’entreprise ne peut donc pas être, par principe, confondu avec le poste de travail. Il désigne plus largement un ensemble de postes que la qualification professionnelle du salarié lui donne vocation à occuper.
De plus, une disposition du Code du travail semble significative. Au titre des mentions obligatoires devant figurer dans le contrat à durée déterminée (article L. 12231), le législateur vise non seulement la désignation du poste de travail mais aussi l’emploi occupé. L’usage de deux termes différents implique une distinction. Si l’on admet une définition stricte de l’emploi, dans le cadre du contrat à durée déterminée l’emploi ne doit être visé que lorsqu’il s’agit de pourvoir au remplacement d’un salarié absent ou dont le contrat est suspendu, ou encore en l’attente du recrutement.753 Dans les autres cas c’est le poste de travail qui doit être visé puisque par définition le contrat à durée déterminée ne peut pas pourvoir un emploi. Il en résulte que si tous les contrats de travail donnent au salarié vocation à occuper un poste de travail, en revanche, un emploi ne peut être occupé que par un salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée.
On peut donc admettre que le poste de travail désigne l’ensemble des tâches matérielles ou fonctions auxquelles le salarié est affecté,754 en ce sens, il est « le reflet de l’organisation concrète du travail. »755 Pour s’en tenir à la situation d’emploi stricto sensu, le rapport entre « l’emploifonction » et le poste de travail se dessine donc plus finement. L’emploifonction fixe abstraitement le contenu des postes de travail, dans cette perspective le poste de travail est alors une approche plus précise notamment en ce qu’il « personnalise » l’emploi en raison de son occupation par un salarié. Si l’on voulait établir un organigramme de la structure de l’entreprise, on pourrait considérer que l’activité normale et permanente de l’entreprise se divise en « emploisfonction », lesquels peuvent être sous divisés, au sein d’une même catégorie, en postes de travail. On peut donc dire qu’une catégorie d’emploi marque une proximité entre les postes de travail appartenant à cette catégorie,756 les postes n’ayant pas à être identiques mais suffisamment proches. Il faut en tirer des conséquences sur le plan juridique. Si l’emploi est référé par rapport à une qualification professionnelle nécessaire pour accomplir la prestation de travail, on peut penser qu’un salarié a vocation à occuper les différents postes de travail relevant d’une catégorie d’emploi déterminée. Autrement dit, l’emploi marquerait un espace de mobilité du salarié sur des postes de travail, espace d’exercice du pouvoir de direction de l’employeur. A titre d’exemple, une salariée embauchée comme secrétaire a vocation à occuper un emploi de secrétaire, peu important qu’il soit situé dans une partie de l’entreprise plutôt qu’une autre, peu important le service d’affectation. Dans le langage de la Cour de cassation, la mobilité du salarié sur des postes relevant de la même catégorie d’emplois semble devoir appartenir au domaine des conditions de travail. En revanche, la modification de l’emploi du salarié ressortirait du domaine de la modification du contrat de travail, correspondant notamment à un déclassement ou à une perte des responsabilités confiées au salarié.757
La distinction entre l’emploi et le poste de travail ne semble donc pas pouvoir se départir de la question de savoir ce qui relève ou non du contrat de travail, l’emploi pouvant être considéré comme un sousensemble du contrat de travail. De plus, sous l’angle de la protection, la distinction entre l’emploi et le poste apparaît nettement.758 La protection de l’emploi ne peut pas être assimilée à la protection du poste de travail, en tout cas pas au sens du maintien d’une situation juridique. En effet, on a pu voir que l’analyse de la suppression ou de la transformation de l’emploi peut être comprise comme une suppression du poste de travail ou un réaménagement tel qu’il va affecter la qualification professionnelle nécessaire et partant le contrat de travail. La protection de l’emploi nécessite parfois une modification du contrat qui peut ellemême modifier le poste de travail. Pourtant, la frontière que devrait tracer le contenu du contrat entre l’emploi et le poste de travail est plus difficile à saisir lorsque précisément certains éléments relevant a priori des caractéristiques du poste de travail sont contractualisés. Le problème peut se poser à propos de la durée du travail, des horaires ou bien du lieu d’exécution de la prestation. Par exemple, lorsqu’un salarié, employé à temps complet, accepte un travail à temps partiel, il ne fait aucun doute que son contrat est modifié759 et on peut penser que son emploi l’est aussi. En revanche, le poste de travail dans sa définition matérielle peut rester identique. Il est alors permis de soutenir que la négociation du contrat de travail prend pour objet l’emploi à occuper. Le contrat de travail va permettre de matérialiser, dans l’organigramme de l’entreprise, l’occupation d’un « emploifonction » mais il va aussi rendre subjective une situation juridique d’emploi,760 la définition contractuelle de l’emploi pouvant, dans une hypothèse extrême, aller jusqu’à une « appropriation » par le contrat du poste de travail. L’emploi semble donc ressortir de l’armature du contrat.761
J. GHESTIN, Traité de droit civil, t. II, La formation du contrat, 3ème éd., 1993, n°104 et suiv.
Ass. Plén. 4 mars 1983, Bull. Civ. n°3. Supra n°44 et suiv.
F. GAUDU, L’emploi dans l’entreprise privée, essai d’une théorie juridique, Thèse 1986.
F. GAUDU, L’emploi dans l’entreprise privée, essai d’une théorie juridique, Thèse 1986 ; G. COUTURIER, Droit du travail, 1/ Les relations individuelles de travail, P.U.F. 1990, n°83.
Dans le même sens, Rapport n°690 1989, M. Coffineau, A.N. p. 156. Voir par exemple, Cass. Soc. 29 avril 1997, n°1777D. Cette confusion ressort lorsque la discussion contentieuse porte sur l’effectivité de la suppression d’emploi, les tâches effectuées par le salarié licencié ontelles été redistribuées ? En cas de recrutement concomitant au licenciement, le salarié occupetil le poste de travail ?
Articles L. 12211 du Code du travail.
En ce sens, L. MALLET et M.L. MORIN, « La détermination de l’emploi occupé », Dr. Soc. 1996, 660.
F. GAUDU, L’emploi dans l’entreprise privée, essai d’une théorie juridique, Thèse 1986, n°258.
Dans le même sens, M.L. Morin, article précité.
Infra n°203 et suiv.
Dans le même sens, F. GAUDU, L’emploi dans l’entreprise privée, essai d’une théorie juridique, Thèse 1986.
Cass. Soc. 2 mars 1994, R.J.S. 4/94, n°376.
La situation d’emploi se singularise par l’occupation par un salarié d’un emploi avec des conditions spécifiques qui peuvent avoir été négociées. La subjectivité propre à la situation d’emploi s’affirme aussi lors de l’exécution du contrat, notamment par l’ancienneté acquise par le salarié ; il y a une individualisation de la situation d’emploi.
Voir notamment les remarques de M. Jeammaud, « La notion de licenciement pour motifs économiques », Dr. Soc. 1981, 267.