La relation d’emploi se noue autour du contrat de travail qui, semblable à une structure en « mille feuilles »,795 est composée de plusieurs strates, dont l’assise serait l’essence du contrat de travail sur laquelle se superposent ensuite le droit légiféré et conventionnel, coiffée enfin d’une ultime feuille d’individualisation. Cette singularité de la relation de travail procède de la technique contractuelle qui permet aux parties de prendre en compte des éléments qui, par expression de la volonté, deviendront essentiels. Or cette individualisation conduit à faire entrer dans le contrat de travail des éléments mais aussi des sujétions que la loi, les textes réglementaires ou conventionnels n’imposent pas, et qui ne relèvent pas non plus de l’armature du contrat luimême.796 Autrement dit, la contractualisation de l’emploi permet à l’employeur d’étendre le champ de la subordination, dans la limite du licite, d’aller plus avant dans la définition de sujétions que la simple mise en oeuvre du pouvoir n’aurait pas autorisée, heurtant non sans paradoxe, le contrat. On sait que la subordination, critère du contrat de travail, confère à l’employeur un pouvoir de commandement ainsi qu’un pouvoir de sanction. Mais cette approche ne rend pas compte d’un autre aspect de la subordination qui n’est pas celui déduit du contrat mais celui qui est créé par le contenu même du contrat.797
La protection du salarié s’est notamment appuyée sur un contenu des règles au caractère largement impératif ; à cet égard, le cantonnement du pouvoir réglementaire est significatif. C’est donc en redécouvrant l’outil juridique « contrat » que l’employeur tente sinon de contourner à tout le moins de s’adapter à ces contraintes. Ce retour au contrat par le développement de clauses semble s’inscrire dans le cadre de la prévision de la gestion des situations d’emploi. En effet, la définition de l’armature du contrat de travail si elle établit, en substance, les frontières de la subordination laisse encore place à une certaine imprécision de sa teneur. Donner corps à ce contenu par le contrat c’est fixer l’avenir par la règle, ce peut être également pour l’entreprise le moyen de faire valoir l’intérêt qu’elle porte à l’emploi. En contractualisant l’emploi, l’employeur assure une plus grande maîtrise de l’emploi (Paragraphe I). Toutefois, ce retour au contrat, dont on peut pressentir qu’il n’est qu’une expression originale du pouvoir de l’employeur, n’est pas sans poser de nombreux problèmes (Paragraphe II).
La comparaison culinaire n’est pas loin non plus de l’observation de M. Supiot qui relève que le contrat de travail est devenu la forme juridique obèse que l’on connaît aujourd’hui, in Critique du droit du travail, P.U.F., les voies du droit, 1994, spéc. p. 28.
En ce sens, voir G. LYONCAEN et J. PELISSIER, Droit du travail, 15ème éd., n°164 e). On remarquera d’ailleurs que ces auteurs ne consacraient dans cette édition (1990) que quelques lignes à ce problème alors que la 17ème édition aborde dans un paragraphe cette problématique (Les clauses concernant l’emploi, n°210). Voir notamment, M.C. ESCANDEVARNIOL, « La sophistication des clauses du contrat de travail », Dr. Ouv. 1997, 478.
Selon M. Béraud, il y a là un risque de subornation du contrat par le pouvoir, in « Les interactions entre le pouvoir unilatéral du chef d’entreprise et le contrat de travail », Dr. Ouv. 1997, 529.