Chapitre I : La protection de l’emploi par le maintien d’un lien d’emploi

Les règles sont constituées à partir d’une situation juridique précise. L’emploi, en tant que situation juridique justifietil la finalité de protection assignée aux règles ? En effet, on peut soutenir que l’emploi est une situation objective liée à l’activité normale et permanente de l’entreprise saisie par le droit, dont seul le contrat de travail à durée indéterminée doit rendre compte. On a ainsi pu dire que l’emploi est un élément de la structure de l’entreprise et que le contrat de travail à durée indéterminée est fonctionnellement approprié pour concrétiser l’emploi. A la différence, la tâche, par nature précise et temporaire, portée par le contrat à durée déterminée a une utilité économique réduite que le terme ou la réalisation de l’objet épuisent. De la sorte, et plus spécifiquement en droit du travail, si l’on peut parler de stabilité du contrat à durée déterminée c’est au nom de la force obligatoire de la volonté des parties de s’engager jusqu’à l’échéance fixée. En revanche, dans le cadre du contrat de travail à durée indéterminée si le droit de résiliation unilatérale marque une protection de la liberté individuelle, on peut se demander, indépendamment des règles régissant sa rupture, si les parties n’ont pas un intérêt à la stabilité du contrat de travail conclu à durée indéterminée ? L’occupation d’un emploi ne génèretelle pas une nécessaire protection de la relation contractuelle. Autrement dit, les règles juridiques, en droit du travail, ne tendraientelles pas à un équilibre « naturel » entre la stabilité du contrat de travail à durée indéterminée et la permanence de l’emploi ?

Effectivement, il ne peut échapper que les obligations nées du contrat de travail intéressent directement l’emploi puisque l’obligation du travailleur consiste en la mise à disposition de ses compétences professionnelles et, que si l’employeur doit en contrepartie verser un salaire, il doit avant tout fournir du travail. L’emploi dans l’entreprise matérialise donc une division de l’activité de l’entreprise, organisé selon une rationalité de production. On peut donc supposer que l’occupation d’un emploi dans l’entreprise justifie les exigences de durée et de stabilité induites par le contrat de travail à durée indéterminée. Aussi, il faut se demander quels sont les moyens que le droit mobilise afin de faire coïncider l’activité économique (l’emploi) et son support juridique (le contrat de travail à durée indéterminée). En effet, tant pour le salarié que pour l’entreprise l’inscription de la relation de travail dans la durée implique une souplesse indispensable que le contrat de travail semble à même de fournir. A cet égard, deux remarques s’imposent. En premier lieu, il serait réducteur d’analyser le maintien du contrat de travail seulement du point de vue de l’exigence morale attachée à la protection de la personne ; il est néanmoins vrai qu’elle est aussi indispensable parce qu’à la source d’autres protections, notamment sociales et qu’elle est le moteur de l’évolution récente du droit positif. Mais, la stabilité du contrat sert également l’intérêt de l’entreprise parce qu’elle loue une compétence professionnelle appropriée à la qualification requise par l’emploi. L’emploi conjugue donc des intérêts tendant à la stabilité du lien contractuel. En second lieu, il convient de souligner la difficulté de mettre en cohérence la diversité des mécanismes qui tendent à assurer la stabilité du contrat de travail. D’une part, si le contrat semble, par sa ressource propre, concourir à l’objectif de stabilité de la relation d’emploi, on vise là le mécanisme de la suspension, il apparaît, d’autre part, qu’il s’avère aussi insuffisant. La loi a été amenée à instituer des règles de stabilité en faveur du salarié, on pense ainsi à la poursuite du contrat de travail en cas de modification de la situation juridique de l’employeur ou à la priorité de réembauchage. Le constat de la diversité des sources, tendant cependant à une finalité unique, apporte donc un argument décisif à l’intérêt porté à l’emploi, plus précisément au lien d’emploi unissant l’entreprise au travailleur titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Ainsi que le souligne la doctrine,905 le contrat de travail est appelé à se transformer, il s’adapte naturellement à l’évolution de la relation de travail, « il doit changer pour durer ». Mais l’idée d’adaptation ne rend pas totalement compte de l’intérêt de l’emploi en vue du maintien du salarié dans l’entreprise. En revanche, le maintien d’un lien d’emploi, comme mécanisme de protection de l’emploi, semble plus approprié.906 En effet, l’intérêt de l’emploi est à même de justifier le maintien du contrat de travail malgré l’inexécution des obligations essentielles ; le maintien du lien d’emploi semble garanti par la ressource du contrat de travail au travers d’un droit à la suspension de l’exécution du contrat (Section 1). Mais, alors que la ressource du contrat s’avère insuffisante à garantir le maintien du lien d’emploi (respect de l’effet relatif des conventions, rupture du contrat), l’étude de certains dispositifs légaux laisse transparaître au profit du titulaire de l’emploi un droit d’opposer une prérogative de maintien du lien d’emploi (Section 2).

Notes
905.

F. GAUDU, Le contrat de travail, Connaissance du droit, Dalloz 1996 ; voir également, A. BOUILLOUX, « L’adaptabilité du contrat de travail », Dr. Ouv. 1998, 487.

906.

Supra n°133 et suiv.